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Débat sur la salle de cinéma au Festival de Cannes

Par 31 mai 2023octobre 10th, 2023Aucun commentaire

Accueilli le 22 mai sur le stand de la Région Sud au Festival de Cannes, le débat de la FNCC était organisé avec le réseau Ecrans du Sud. Pourquoi ce choix de thématique des salles de cinéma ? « Aujourd’hui, le problème essentiel des salles réside dans le retour trop progressif des publics. Globalement, la fréquentation culturelle reprend, mais plus difficilement pour le cinéma. D’autres habitudes que la sortie culturelle ont été prises. Les salles sont ainsi confrontées à la nécessité de réévaluer les modalités de fréquentation des publics, notamment des jeunes » déclare, en introduction, le conseiller régional délégué à la Vie artistique et culturelle de la Région Sud, Michel Bissière.

Mais, dans la mesure où « le cinéma se définit par la salle » (Lionel Bertinet, directeur du CNC), le problème des salles impacte bien au-delà d’elles-mêmes. Frédéric Hocquard, président de la FNCC : « La salle est endroit de croisement politique non seulement entre l’Etat, le CNC et les collectivités mais aussi entre différents domaines de l’action publique : sociale, éducative, culturelle. On observe là une sédimentation des politiques publiques assez exemplaire. » Un croisement qui est aussi professionnel, comme l’indique la productrice Elisabeth Pawlowski : « A Marseille, 95% de la production vient de la Région. Nous travaillons donc main dans la main avec les lieux de vie que sont les salles. Aujourd’hui, un regroupement de producteurs – l’association Tangente – permet à des films sans distributeur d’accéder aux salles. Il y a donc un lien direct entre la production et le public, sans compter que les salles servent aussi à la post-production. »

Mais comment préserver le dynamisme du réseau des salles face aux difficultés des collectivités et notamment celles gérées ou soutenues par les municipalités ? Comment les collectivités peuvent-elles soutenir les exploitants ? Une question d’autant plus importante que, pour Frédéric Hocquard, « les politiques pour le cinéma peuvent être exemplaires pour d’autres champs de la culture, comme cela a été le cas avec l’ouverture de la possibilité pour les collectivités de soutenir directement les librairies (loi Darcos), directement inspirée par la loi Sueur pour les salles de cinéma ».

Volontarisme politique. Historiquement, le dynamisme du  réseau des salles Art & Essai mais aussi celui des salles municipales ou associatives est le fruit d’une volonté politique à la fois nationale, portée par le CNC, et locale, ce dont témoigne le réseau Est Ensemble réunissant neuf établissements de Seine-Saint-Denis, avec treize salles dont six à Montreuil. « Le projet vient de très loin. Est Ensemble regroupe neuf municipalités d’origine ouvrière. A un moment, attirés par la Capitale, les cinémas ont déserté ces villes, d’où la décision de ces municipalités de soutenir leurs salles, notamment pour leur travail de nature éducative. Nous gérons d’ailleurs mieux ce réseau – donc né d’un volontarisme politique qui n’a jamais fléchi – que le privé. Le public revient car, par rapport aux purs établissements de diffusion, ces salles apportent une énorme plus-value non seulement par leur politique tarifaire mais surtout par le travail avec les écoles ainsi qu’avec les autres équipements culturels », explique Alexie Lorca, maire-adjointe de Montreuil et vice-présidente de la FNCC.

Un volontarisme toujours présent, comme en témoigne Gabriel Colombet, maire-adjoint de Saint-Rémy-en-Provence et administrateur de la FNCC, qui porte le déménagement et l’agrandissement d’un cinéma associatif fortement soutenu par la municipalité. « Il s’agit d’un projet d’établissement de trois salles afin de conserver le public et d’empêcher qu’il n’aille dans les grandes villes proches. La municipalité, qui légalement ne peut financer à plus de 10%, apporte 1M€, un financement public que doit compléter 10% de la part de la Région et autant de celle du Département. Donc un choix éminemment politique. »

Une nécessaire médiation. Alors qu’on pourrait appréhender le cinéma comme une réalité culturelle industrielle et par nature essentiellement privée, on constate que son “modèle” français dépend pour beaucoup de l’impulsion politique en faveur de la médiation (par contraste avec la pure consommation événementielle). Pour le directeur du CNC, l’un des défis que doivent affronter les salles est « la nécessité de la médiation, du travail sur le lien entre le public et les œuvres. Certes c’est l’essence même de l’activité des salles Art & Essai, mais il faut aujourd’hui un travail conjoint sur la médiation entre les dispositifs nationaux et les collectivités pour tous les publics et tous les types d’œuvres. »

Une urgence à laquelle répond déjà le cinéma Le Cigalon de Cucuron, un village de 1 800 habitants situé dans le Lubéron, que dirige Clémence Roux, également vice-présidente de l’Association française des cinémas Art & Essai (AFCAE). Porté par les habitants autour d’un projet de lieu de rencontre et d’animation, « le cinéma a réussi à créer une offre, à fidéliser un public et à développer une médiation avec les scolaires ». Une précision encore : il fonctionne en grande partie grâce à des bénévoles. « Au départ, ce n’était qu’un petit noyau de personnes très volontaires, mais cela s’est agrandi car les gens ont vu ce que la salle leur apportait. On sait l’importance d’un lieu culturel ouvert et actif toute l’année en territoire rural. Nous bénéficions d’ailleurs du label “Espace de vie sociale” de la CAF. C’est grâce à cet ancrage territorial que le public est revenu. »

Ce rôle de médiation et de lieu de vie ne se limite pas aux territoires ruraux. « Chez nous, ajoute Alexie Lorca, des postes sont entièrement dédiés à la médiation. On commence avec les bébés, ce qui permet aux jeunes couples d’aller au cinéma. Mais un travail se développe aussi avec les centres sociaux, les Ehpad, les Esat… Sur les 440 000 habitants de l’EPCI, 100 000 enfants bénéficient de dispositifs d’éducation à l’image proposés par l’Etat et les Villes. »

Co-construction Etat/collectivités et compétence culturelle obligatoire ? Pour Lionel Bertinet, non seulement la salle définit le cinéma mais elle définit également les politiques en sa faveur. Au-delà de ses conventions avec les Régions, « la politique du CNC se construit en collaboration avec les collectivités. Le maillage des salles sur tout le territoire fait la force du cinéma français Cette force du tissu de l’exploitation est le fruit d’une longue histoire de collaboration entre les collectivités et l’Etat. » Une force qui est aussi une fragilité dans la mesure où, principaux financeurs des politiques culturelles publiques, les collectivités connaissant actuellement des difficultés budgétaires, notamment du fait de la diminution de leur autonomie fiscale. Avec parfois pour conséquence des arbitrages au détriment de la culture.

Le président de la FNCC résume et étend ce constat du directeur du CNC. De manière générale, « les politiques culturelles sont le fruit d’une construction entre l’Etat et les collectivités, ces dernières abondant pour la plus grande part à leurs financements. Mais comment pourront-elles continuer à assurer ce financement de la culture ? » Une piste (avec un débat profondément politique en perspective) : « Si la compétence culture était obligatoire, nous pourrions plus aisément défendre ces budgets, car ce serait symboliquement important », estime Alexie Lorca.

Itinérance.  Les échanges ont également mis à jour une unanimité sur un phénomène qu’on pourrait penser surtout rural et un peu adjacent par rapport aux enjeux fondamentaux de la filière cinématographique et de sa relation avec le public : le cinéma itinérant. Lionel Bertinet se réjouit de sa vitalité et la directrice du Cigalon en fait un élément central de sa relation aux publics. Il en va de même dans le département de la Seine-Saint-Denis, comme le précise la maitre-adjointe de Montreuil : « Nous disposons aussi d’un “écran nomade” car, comme en territoire rural, certains habitants se sentent exclus. Il y aura cet été 35 séances avec médiation – un peu la fête. Je crois que c’est très important d’“aller vers”. » Enfin, Michel Bissière apporte aussi sa reconnaissance de l’importance des circuits itinérants : « Nous finançons également des réseaux, comme Ecrans du Sud, ainsi que l’itinérance. »

En conclusion de cet échange tout en hommage à la salle de cinéma, Frédéric Hocquard annonce le projet de Guide cinéma de la FNCC dont « le but est précisément de valoriser ce modèle construit au service de la diversité de la création artistique et des publics ».


Catherine Mallet, directrice-adjointe du cinéma La Cascade à Martigues, Florian Salazar-Martin, vice-président de la FNCC, David Obalia, délégué général de l’AFCAE, Frédéric Hocquard, président de la FNCC, Grégoire Pénavaire, trésorier de la FNCC, Clémence Renoux, administratrice de l’AFCAE, et Gabriel Colombet, administrateur de la FNCC

Rendez-vous avec l’AFCAE

En amont du débat sur la salle de cinéma, la FNCC avait organisé un rendez-vous avec l’Association française des cinémas Art & Essai (AFCAE). L’occasion de se féliciter du bon retour des publics : la fréquentation des cinémas Art & Essai a progressé de 20% ce mois d’avril 2023 par rapport à la moyenne du même mois des année 2017 à 2019, soit avant la période de la crise sanitaire. L’effet plateforme de streaming (Netflix) n’a pas réellement fonctionné. Pour les multiplexes, en revanche, des difficultés persistent.

Cette résilience des salles indépendantes tient notamment à l’important travail de médiation et de lien social qu’elles ont entrepris ainsi que de la qualité de leur accueil des publics. De fait, on observe une différence de plus en plus nette entre les salles qui s’en tiennent purement à l’événementiel et celles qui développent un réel lien avec leurs publics comme le font les cinémas Art & Essai, notamment en direction des jeunes.

Compte-rendu de la réunion.