Skip to main content
ActualitésLecture publique

Horaires d’ouverture de bibliothèques : ne pas baisser la garde

Par 9 juillet 2020juillet 10th, 2020Aucun commentaire

La volonté politique de s’atteler à l’extension des horaires des bibliothèques, initiée par un rapport de la sénatrice Sylvie Robert en 2015, est aujourd’hui largement couronnée de succès, avec une moyenne d’ouverture supplémentaire de 8h30. En quatre ans, 343 projets d’extension des horaires d’ouverture de bibliothèques ont abouti, ce qui représente 623 communes, 747 bibliothèques et concerne 9,1 millions de Français. Le récent rapport d’information (juillet 2020) des sénatrices Colette Mélot (Les Indépendants/République et territoires, Ile-de-France) et Sylvie Robert (PS, Ille-et-Vilaine) s’en félicite. Avec, pour conséquence, la crainte qu’il ne s’essouffle.

La réussite du plan “ouvrir plus, ouvrir mieux”, initié par le Gouvernement à la suite de la publication du rapport Corbin-Orsenna Voyage au pays des bibliothèques (2018) est tout d’abord le fruit d’une mobilisation collective entre les parlementaires, le Gouvernement, les collectivités territoriales et les acteurs de la lecture publique.

Une mobilisation collective. A la source, un travail parlementaire de diagnostic et de propositions dont le ministère s’est saisi en commandant à l’Académicien Erik Orsenna un rapport  « à valeur de manifeste », puis mettant en place un “plan bibliothèques” mis en œuvre par les DRAC. Enfin, tout ce processus, auquel la FNCC a fortement contribué, a été conduit en lien étroit avec les collectivités. Un « véritable travail de confiance » s’est alors installé et les moyens de la réalisation ont été trouvés grâce à l’obtention de crédits supplémentaires pour la DGD (dotation générale de décentralisation) : depuis longtemps plafonnée à 80M€, cette dotation s’est accrue de 8M€ en 2018 (reconduits depuis), avec la possibilité d’utiliser cette somme pour l’extension des horaires. En tout, l’Etat a dépensé jusqu’à présent 11M€ en 2018, autant 2019, puis 15M€ en 2020.

La médiathèque François Mitterrand/Les Capucins à Brest, ouverte 36h par semaine, a enregistré une augmentation de 50% du nombre d’abonnés du réseau

Le rapport note par ailleurs que le point de départ pour ainsi dire purement quantitatif – ouvrir plus – « se double d’avancées qualitatives sur les plans culturel, social et territorial » : davantage de fréquentation, des publics plus diversifiés ainsi qu’une réorganisation des fonctionnements et des missions des bibliothèques qui sont « désormais des espaces d’animation culturelle au sens large » et développent des partenariats avec d’autres acteurs issus des sphères culturelle, sociale ou éducative. Les sénatrices en concluent à la transformation des bibliothèques en « espaces de démocratie sociale et culturelle » – ce que Sylvie Robert avait qualifié d’“agorathèque” dans son premier rapport et la FNCC de bibliothèque “4e lieu” dans une contribution pour un Congrès de l’ABF.

Points de fragilité. De tels succès des politiques culturelles sont rares, surtout obtenus en un temps si court (entre 2018 et 2020). Des succès d’autant plus précieux qu’ils sont encore fragiles.

La crainte principale des sénatrice réside dans le choix initial – lié à la nature même de la DGD, laquelle n’a pas pour vocation de contribuer au fonctionnement –, celui de mettre en œuvre une aide financière « à l’amorçage des projets » sur un délai de cinq ans. Et après ? La question de la poursuite du financement se pose bel et bien, car « force est de constater qu’à ce jour, aucune réponse n’y a été apportée, ni aucune période de transition préparée ».

La fréquentation de la médiathèque de Roubaix a crû de 50% en passant de 41h à 50h d’ouverture hebdomadaire heures

Tel est l’objet du rapport : alerter le Gouvernement sur la nécessité d’accompagner le processus sur le long cours afin de passer de l’impulsion à une réalité durable. D’où cette recommandation prioritaire : « Assurer la pérennité financière des projets [d’extension des horaires d’ouverture] en cours au-delà des cinq années de soutien de l’Etat en préparant, dès à présent, la période de transition vers d’autres relais de financement. » Avec quelques pistes :

  • une dégressivité du taux d’accompagnement de l’Etat pour les années de soutien restantes au-delà des cinq années initiales afin que les collectivités puissent intégrer durablement les coûts supplémentaires liés à l’augmentation mécanique de la masse salariale issue de l’extension des horaires ;
  • la recherche de relais de financement autres que ceux des collectivités directement concernées et de l’Etat, via les intercommunalités et/ou les départements – une perspective dont les sénatrices estiment qu’elle devra « impérativement » être traitée dans la future loi “décentralisation, différenciation et déconcentration”, dite “3D” (à noter que le rapport recommande que la compétence de lecture publique soit rendue obligatoire pour les départements) ;
  • et aussi, pour ce qui est spécifiquement des grandes agglomérations – sachant qu’en 2019, 63% des projets d’extension ont concerné des villes de moins de 5 000 habitants –, le rapport souhaite que ces dépenses culturelles soient exclues des « règles limitantes du pacte financier “de Cahors” » (plafonnement de la hausse des budgets de fonctionnement à 1,2%).

De nouvelles formations pour des métiers renouvelés. Au-delà des question financières, les sénatrices notent que si les volets 1 (ouvrir plus) et 2 (ouvrir mieux) du « plan bibliothèques » ont été efficacement investis, le troisième volet, qui concerne la formation des bibliothécaires, reste encore trop négligé. Or, face aux exigences de l’extension des horaires, « c’est le métier de bibliothécaire dans tous ses aspects qui doit, à cette occasion, être questionné et repensé ». D’où la recommandation de mettre fortement l’accent sur la formation initiale et continue des professionnels dans le cadre des prochaines “Assises de la formation en bibliothèque territoriale” (trois séances préparatoires, avec l’ABF, sont prévues à l’automne).

L’avenir du plan bibliothèque impose une vigilance à la hauteur de l’enthousiasme que génère sa réussite et son bon écho auprès des collectivités. Il aura significativement contribué à ce que, « de “temples de la culture” réservé aux initiés, les bibliothèques deviennent progressivement les foyers d’un champ culturel réinventé, plus ouvert et inclusif ». Les bibliothèques ouvrent-elle plus ? Oui. Mieux ? Encore oui. Néanmoins, « ce bilan très positif a aussi ses limites ». Or il importe qu’il n’en ait pas, ou du moins le moins possible.


Des menaces sur la DGD ?

Le concours particulier “bibliothèques” de la dotation générale de décentralisation (DGD) constitue l’outil majeur du ministère de la Culture pour sa politique de la lecture publique et le fer de lance du “plan bibliothèques”. Mais cette dotation ne lui appartient pas en propre : elle relève du ministère de l’Intérieur. Et des rumeurs tout aussi anciennes que persistantes font état d’un risque qu’elle soit utilisée à d’autres fins.

Certes, interrogé sur une telle éventualité lors d’un Conseil d’administration de la FNCC auquel il participait, le 2 juillet, le ministre de la Culture a déclaré n’en avoir eu aucun écho et que de toute façon la lecture publique restait une priorité de son ministère. Mais pour leur part, les sénatrices sont plus soucieuses. Elles soulignent en effet que, « face aux éventuelles velléités de certains services ministériels de récupérer le pilotage du concours particulier “bibliothèques”, surtout depuis son abondement supplémentaire de 8M€ annuels », il est impératif que cette enveloppe budgétaire reste à la main de la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Une telle menace reste encore de l’ordre de l’hypothèse. Pour autant, et pour ainsi dire à titre préventif, Sylvie Robert et Colette Mélot formulent deux propositions :

  • veiller à ce que, dans les prochains projets de loi de finances, l’engagement d’abondement du concours particulier “bibliothèques”, de 8M€ annuels jusqu’en 2022, soit bien respecté,
  • et pérenniser, au-delà de 2022, l’abondement de la DGD bibliothèques à un niveau permettant de répondre aux besoins de financement du nombre de nouveaux projets d’extension des horaires d’ouverture de bibliothèques escompté.

 

A télécharger

Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture du Sénat sur l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques publiques