Le CNC publie chaque année une “Géographie du cinéma”, soit un ensemble extrêmement précis de chiffres sur les salles, les écrans et les publics, d’abord pour la France entière, puis par régions, par départements et par communes. Ces données sont aussi l’occasion de mesurer les principales tendances entre 2017 et 2018 : une légère baisse de fréquentation (-4%), une tout aussi légère multiplication des écrans (mais non des salles) et une pratique plus quotidienne que populaire. Quelques données.
Concentration des écrans. Le parc français de salles de cinéma actives s’élève à 2 040 établissements, dont 57,8% classés “Art et essai”. Mais dans ce total, il faut remarquer d’une part que, sur dix ans, la proportion des multiplexes (huit écrans et plus) s’est accrue de 8% (en 2009) à 11% et, d’autre part, que l’année 2018 est la première depuis 2014 à connaître une baisse du nombre de salles, soit six de moins.
Le nombre de multiplexes n’a quant à lui pas cessé de croître : de 191 établissements en 2014 à 226 en 2018, soit +35. D’où ce constat d’une légère concentration – « le parc cinématographique français a perdu 33 établissements en dix ans. En moyenne sur la période 2009-2018, 34 établissements ouvrent chaque année, dont six multiplexes, et 37 ferment » – ce que confirme la croissance du nombre d’écrans, qui est passé de 5 647 en 2014 à 5 982 en 2018.
Le cas des circuits itinérants est à considérer à part. Si leur nombre diminue de manière continue depuis 2009 (de 128 à 104), la fréquence de leurs séances a progressé : de 36 200 à 38 600. Avec cependant une baisse des entrées. Elles étaient de 1,44 million en 2009 et ne sont plus que 1,37 million en 2018 – une année qui marque toutefois de ce point de vue une légère embellie par rapport à 2017.
Géographie par régions et départements. En 2018, l’Ile-de-France reste la région la mieux dotée (19,2% des écrans actifs et 196 communes équipées). Suit la région Auvergne-Rhône-Alpes (13,9% des écrans actifs et 256 communes équipées), puis la Nouvelle-Aquitaine (10,7% des écrans actifs et 206 communes équipées). A elles trois, ces régions, qui représentent 40,2% de la population, regroupent près de la moitié des écrans (43,8%) et cumulent 46,1% de la fréquentation nationale.
L’étude estime que « l’augmentation du nombre d’établissements sur le territoire favorise une dispersion plus harmonieuse des salles en France ». Mais celle-ci n’entraîne pas pour autant une fréquentation plus importante : aucune région n’en a enregistré une hausse ; en revanche, des baisses s’observent, surtout en Grand-Est (-7,8%), en Corse (-6,8%) et en Ile-de-France (-6%).
Quant à l’observation selon le prisme départemental, elle met à jour une logique bien particulière. Les départements qui présentent la plus forte densité en équipements cinématographiques se distinguent aussi par une attractivité touristique particulièrement importante. Ainsi, le département des Hautes-Alpes arrive en première place pour ce qui est du nombre de fauteuils par habitants (un pour 28) ; à l’autre bout de l’échelle, la Marne, le Loiret, les Ardennes et l’Aisne n’en comptent qu’un pour 82 habitants.
Profil du public des salles de cinéma. Concernant les statistiques sur le “profil” des spectateurs des salles de cinéma, elles sont ordonnées selon une grille de catégories professionnelles distinguant les CSP+ (catégories socio-professionnelles favorisées), les CSP- et les “inactifs”, cette dernière catégorie regroupant les retraités (qui peuvent être des CSP+ ou CSP-), les élèves et étudiants (peut-être en passe pour devenir des CSP+) et les personnes sans emploi.
D’où une nécessaire prudence quant à l’interprétation des chiffres fournis par l’étude du CNC. Quoi qu’il en soit, et de manière contre-intuitive, le spectateur-type est d’abord un CSP+ (31,2% des publics), puis un étudiant (28,5%) et enfin un « inactif » non-étudiant (19,9%). Il semblerait donc que si la sortie au cinéma est la première pratique des Français, elle n’en est pas pour autant la plus populaire.
En l’attente d’une étude dédiée au profil socio-démographique des publics du cinéma en salle en 2018, cette remarque reste de l’ordre de l’hypothèse. Mais elle est confortée par l’examen des profils sociologiques des spectateurs selon leur cadre de vie démographique. Ce n’est que dans les villes de moins de 10 000 habitants que les CSP- sont très légèrement plus nombreux que les CSP+ à fréquenter les salles de cinéma (23,3% contre 23,2%).
Partout ailleurs, que ce soit en territoire rural ou dans les grandes villes, les CSP+ sont significativement plus nombreux que les CSP- : environ 10 points de plus dans les villes de plus de 50 000 habitants, 9 points de plus en territoire rural (un indice d’un changement de population des campagnes, avec la venue de rurbains ?) et 4 points de plus dans les villes de 10 000 à 50 000 habitants. Un constat d’autant plus marquant qu’une enquête récente (09/2019) du Cevipof indique que « la proportion de membres des classes supérieures est deux fois plus importante dans les villes de 30 000 habitants et plus », une sur-proportion non décelable dans les publics des salles de cinéma rurales ou dans les petites villes.
Une géographie des salles de cinéma, non des pratiques du cinéma. La publication s’intitule “Géographie du cinéma 2018”. Toutefois deux dimensions majeures et corrélées des pratiques cinématographiques des Français ne sont pas étudiées : le visionnage de films en streaming et “en chambre” (sur CD) d’une part, et d’autre part l’essor notable des séries (l’étude s’attache aux longs-métrages). Le prisme choisi est celui, un peu réducteur mais qui présente l’avantage indéniable de pouvoir se fonder sur les données chiffrées très précises, d’une géographie des salles de cinéma, non du cinéma en lui-même.
C’est donc aussi une géographie des sorties en salle de cinéma, ce que traduit ce constat devenu un adage : « Le cinéma est la première sortie culturelle en Europe. » Et que corroborent ces précisions : 92,9% des Italiens sont allés au cinéma au moins une fois au cours des douze derniers mois, ce qui est également le cas de 88,2% de Français (à quoi il faut ajouter que 31,8% d’entre eux s’y rendent une fois par mois). Ces pourcentages sont déjà impressionnants, mais ne le seraient-ils pas encore davantage si y était intégré le visionnage de films (et de séries) hors salle ? A titre de comparaison, c’est en prenant en compte l’écoute quotidienne de musique grâce aux outils numériques – et non seulement par la présence dans les concerts –, qu’on sait qu’elle est la première pratique culturelle des Français.