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ActualitésPolitiques Culturelles

Pour une politique culturelle renouvelée

Par 22 décembre 2021Aucun commentaire

A l’approche de l’élection présidentielle du printemps 2022, Bernard Latarjet et Jean-François Marguerin signent un ouvrage de nature programmatique : “Pour une politique culturelle renouvelée” (Ed. Actes Sud, 440 pages). Il développer l’idée que le moment est venu de dépasser la césure arts/éducation populaire, démocratisation/démocratie culturelles. Ce texte en forme de manifeste prône, dans l’esprit des droits culturels, une politique pour les personnes (non pour les publics), ce qui inclut une politique culturelle par les territoires.

“Pour une politique culturelle renouvelée” s’ouvre par un appel. Un appel pour un service public de la culture

  • « qui ne se comporte en prescripteur qu’à l’endroit du seul pré carré des institutions et établissements labellisés dont il est l’inventeur d’hier et l’héritier d’aujourd’hui »,
  • « qui soit l’accompagnateur agile d’élus locaux, d’acteurs de la société civile, d’artistes ou de chercheurs, dans cette visée émancipatrice qui fut et doit demeurer le premier justificatif de son existence »,
  • « qui ne se réduise pas au rôle de gestionnaire de plus en plus démuni d’un paysage figé d’entités pérennes absorbant nécessairement, héritage oblige une grande part de ses ressources ».

Le projet se propose de réunir l’esprit des deux décrets, souvent commentés, instituant les missions du ministère de la Culture, celui de Malraux de 1959, toujours en vigueur aujourd’hui et celui, éphémère, de Jack Lang en 1982, plus ouvert sur la démocratie culturelle. Le premier se concentre sur l’accès aux grandes œuvres, c’est-à-dire sur les citoyens en tant que publics, alors que le second, qui confère au ministère la mission « de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer », s’intéresse aux citoyens en tant que personnes.

Estimant que la version Lang a vingt-cinq ans d’avance sur la Déclaration de Fribourg, les auteurs font ce commentaire prospectif : « Lire et relire ces deux ambitions, c’est mesurer tout ce qui sépare celle d’une démocratisation de l’accès aux arts dont les destinataires ont pour rôle assigné d’être des usagers, des visiteurs, des spectateurs, “consommateurs” d’une offre pensée pour eux, de celle, qu’on ne nomme pas encore une démocratie culturelle, où les citoyens sont les premiers acteurs de leur acculturation. »

Le texte décrit la formule, tant recherchée, pour ne pas jeter le bébé avec l’eau de bain, c’est-à-dire pour conserver le principe des réalisations prescriptrices de la démocratisation tout en la mettant dans la roue d’une approche nouvelle fondée sur les droits des personnes et sur l’inventivité des territoires. Cette formule articule démocratisation et démocratie culturelle en faisant remarquer « qu’exercer un droit suppose au préalable d’apprendre à l’exercer et, pour cela, souvent, d’être guidé » : il faut donc produire du commun (être guidé) pour garantir la diversité (exercer sa capacité créative), ou encore,  s’appuyer sur « une éducation émancipatrice » : savoir pour pouvoir, connaître pour imaginer, hériter pour inventer.

La formule d’une “politique culturelle renouvelée” repose sur trois éléments, à la fois convictions et observations pratiques :

  • la démocratisation a été un succès qu’il faut aujourd’hui dialectiquement “conserver/dépasser”,
  • ce succès se mesure notamment par ce que le cadre institutionnel de la démocratie a suscité à sa marge : des initiatives et des innovations encore insuffisamment prises en compte,
  • enfin, cette “floraison” d’expériences constitue la matrice d’une nouvelle politique culturelle dont les auteurs précisent qu’elle est « possible dans le cadre des contraintes budgétaires actuelles et durables sans mettre en péril l’héritage ».

Une culture sur et par les territoires. Une ambition que les auteurs illustrent et développent à partir de treize initiatives exemplaires (tantôt évoquées par eux, tantôt par leurs responsables) tant sur le plan de la démocratisation, de l’équité géographique que de l’économie sociale et solidaire ou de l’action de lieux et structures dûment labellisées : scènes nationales, FRAC, Centre culturels de rencontre…

Cette approche harmonieuse et humaniste entre la connaissance et l’invention, entre l’apprentissage et l’émotion, entre la culture et l’art, entre l’universalité et la diversité confère au projet un esprit d’optimisme raisonnable peu courant. Il ne s’agit ni de dénoncer ni de regretter mais de déceler la force de nouveauté dans ce qui existe déjà. Et, pour peu qu’il advienne à la conscience non comme un hasard heureux mais comme étape sur un nouveau chemin, de le systématiser, l’amplifier et le généraliser.

Les « avancées prometteuses » sont innombrables. Par exemple l’action développée par la petite communauté de communes Pays entre Loire et Rhône (16 communes, 14 000 habitants) qui accueille des artistes en résidence dans une ancienne ferme, en partenariat avec « une compagnie conventionnée d’envergure nationale et internationale qui multiplie les interventions insolites dans de nombreux site du territoire en impliquant à chaque fois que possible des artistes qui y sont installés à demeure ». Avec des présentations de petites formes de spectacles dans les nombreux « bistrots sympathiques et engagés dans la vie associative du territoire », car il n’y a pas ici de salle de spectacle proprement dite.

Autre exemple, dans la communauté de commune plus importante (24 communes, 36 000 habitants) autour de Thouars, dans les Deux-Sèvres. Une ville dont la convention Ville d’art et d’histoire prévoit son extension en Pays d’art et d’histoire. Là comme précédemment, l’EPCI exerce la compétence culturelle au-delà de la seule gestion d’équipement. Ainsi, la signature d’un contrat territoire-lecture a donné lieu pour les médiathèques à des « formes de connexions et coopérations avec les autres segments de l’offre culturelle et artistiques du territoire assurées par le réseau de lecture publique (spectacle vivant, cinéma, arts plastiques… musée et mémorial) qui s’emploie, en usant de tous les dispositifs existants, à développer la pratique de la lecture dans toutes les tranches d’âge et composantes socioculturelles de la population ».

Economie sociale et solidaire. Ou encore à Dijon. A la suite d’une opération réussie de renouvellement urbain d’un quartier, un concours d’opérateurs culturels pour prendre possession de locaux se clôt par un choix aux conséquences heureuses : 25 entreprises culturelles et créatives développent une logique de coopération qui participe « d’une économie collaborative, base d’un développement durable profitable à tous ».

A Strasbourg, une coopérative d’activités et d’emploi du secteur artistique et culturel – la première consacrée à ce secteur – voit le jour grâce au soutien des collectivités publiques (Etat, Ville, Région) et de deux fondations, avec l’appui de fonds européens. Et tient son pari : accueillir et accompagner des personnes physiques « qui souhaitent tester puis développer une activité artistique ou culturelle en minimisant la prise de risque et en se déchargeant en partie des aspect administratifs ».

Et les établissements labellisés aussi. Le témoignage de la directrice du FRAC de Franche-Comté fait l’éloge d’un musée déployant un « perspective prospective », soit une logique bien différente de la « prospective historique », habituellement celle d’une institution muséale. L’éloge aussi d’un musée hybride qui diffuse hors les murs, développe ses propres productions et commandes à des artistes accueillis en résidence, s’engage dans des projets en concertation avec des équipements scolaires, des associations… « C’est précisément cette hybridité qui fait aujourd’hui la spécificité des Frac et sans aucun doute leur force en matière de création. »

Pour sa part, la directrice d’un célèbre théâtre d’Ile-de-France évoque un rêve de théâtre de la cité idéale, « une fabrique à spectacles, associant étroitement création contemporaine et pratiques de spectateurs, réunissant les mouvements d’éducation populaire et les avant-gardes artistiques ». Puis la réalité : une saison hors les murs qui a permis de tisser des liens forts avec différentes structures culturelles, un cycle de lecture dans des lieux non théâtraux, une ruche d’artistes en création, une “fabrique d’expériences” impliquant les habitants du territoire…

Au terme de ce parcours d’expériences artistiques et culturelles contenant en germe une politique culturelle renouvelée, les auteurs confient une conviction qui tranche avec l’optimisme dont témoignent les récits et descriptions précédentes : « Il faut une action culturelle publique qui prenne à bras-le-corps les ravages multiples que connaît déjà ou s’apprête à connaître notre vivre-ensemble. » Et pour finir, cette alerte fondée sur une analyse du budget culturel de l’Etat (crédits ministériels 2022 et Plan de relance)  : « Nous nous inquiétons de la métropolisation de la culture qui, à contresens du mouvement historique de décentralisation, non seulement n’apporte aucune correction à cette tendance mais l’accuse. »


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