Depuis la pandémie de Covid, les comportements culturels des Françaises et des Français changent. Une récente enquête de l’institut de sondages l’Ifop et de la Fondation Jean-Jaurès, intitulée « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces » (11 novembre), souligne notamment que la crise sanitaire a « accru la valorisation du temps libre et de la sphère privée ».
Est-ce une tentative d’adaptation des politiques culturelles publiques à cette tendance au reflux de la traditionnelle « sortie culturelle » qu’illustre le nombre croissant d’initiatives hors les murs des équipements culturels, en particulier des bibliothèques ? Lors d’une journée d’étude organisée le 10 novembre par l’Association de bibliothécaires de France de Rhône-Alpes, la maire-adjoint de Dardilly et membre de la FNCC Dominique Decq-Caillet déclarait que, plutôt que d’essayer d’attirer les gens dans les lieux de culture, il faut aujourd’hui que la culture aille vers eux, là où ils vivent, dans les écoles, dans les maisons, dans l’espace publics, dans les rues…
A l’instar du principe des Ideas Box installées par la mairie d’Avignon dans les parcs (consulter la fiche Mener un projet de bibliothèque hors les murs du « Guide Bibliothèques » réalisé par la FNCC et de Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture), c’est cette même exigence de démocratisation culturelle hors les murs que met en œuvre le maire-adjoint à la culture de Saint-Rémy-de-Provence et membre du Bureau de la FNCC, Gabriel Colombet. Entretien.
Pourquoi une bibliothèque hors les murs ?
Le dispositif de bibliothèque hors les murs a été mis en place cette année pour la période estivale, mais dont on ne s’interdit pas d’en envisager l’extension, à titre exceptionnel, sur d’autres moments de l’année. Pourquoi juillet-août ? C’est un moment où les gens perdent l’habitude d’entrer dans un bâtiment : il fait beau ; on préfère rester dehors. D’où l’idée d’une activité totalement en extérieure, dans des lieux fréquentés par des publics non habitués à la bibliothèque. Nous cherchons ainsi à nous adapter à la saisonnalité des manières de vivre et en se calant sur le calendrier des événements à forte visibilité. Avec plusieurs objectifs : faire davantage connaître la bibliothèque et contribuer à rendre accessible la ressource culturelle au plus grand nombre non en invitant les gens chez nous mais en allant chez eux, sur leurs lieux de vie habituels, dans la rue, qui est accessible et gratuite.
Ce choix est-il lié au constat d’une tendance au déclin de la fréquentation de la bibliothèque ?
La bibliothèque de Saint-Rémy-de-Provence compte aujourd’hui 2 000 adhérents, sur 10 000 habitants. Nous n’avons donc pas à rougir de son taux de fréquentation. Ce qui nous a guidés, c’est vraiment l’intérêt de promouvoir et de rendre accessible la lecture. Depuis quelques années la bibliothèque travaille en partenariat étroit le Centre des monuments nationaux (CMN) autour du festival de la BD dont la ville est partenaire. D’où un point de départ de la bibliothèque hors les murs dans ce cadre.
Pourquoi cette association ?
Nous avions l’habitude d’organiser des manifestations historico-culturelles en extérieur en lien avec le CMN qui, grâce au festival « Arelate, journées romaines d’Arles » et sur le site archéologique de Glanum – situé sur le territoire de la commune –, mène une action de sensibilisation des jeunes à l’Antiquité et à l’archéologie sous l’angle de la bande dessinée.
Constatant le succès de l’initiative avec le Forum de la BD, j’ai donc demandé aux services de la bibliothèque d’étendre l’expérience sur l’ensemble de la saison estivale et de se délocaliser totalement, hors événement culturel. Nous avons ainsi réalisé sept séances, entre juillet et août, et reçu, le matin ou l’après-midi, une trentaine de personnes par demi-journée, soit près de 300 visiteurs – un chiffre très significatif. Cela a vraiment été très bien perçu par le public.
Quel type de documents mettez-vous à disposition ?
Mangas, BD, revues, livres pour enfants, albums cartonnés…, les documents proposés étaient bien entendu adaptés au plein air. Pour cette première édition, nous avons même proposé des jeux prêtés par la Bibliothèque départementale.
Ce moment présente aussi l’avantage de pouvoir informer sur le principe de la bibliothèque, sur ses différents dispositifs : les temps de contes pour les tout-petits, dits « bébés-lecteurs », le café numérique pour se familiariser aux nouvelles technologies, les conférences, expositions, séances de dédicace d’auteurs, le portage à domicile… Beaucoup ne connaissent ni l’existence de la bibliothèque ni même le principe de l’emprunt de livres.
Menez-vous d’autres actions hors les murs ?
Le but est de développer le service public de proximité. Tout comme pour la biennale “G Graine” où ce ne sont pas les habitants qui viennent dans les lieux de culture mais les artistes qui s’adressent à eux, dans l’espace public (cf. « Portrait culturel » de Saint-Rémy-de-Provence), l’idée est de se déplacer, d’aller à la rencontre des gens, là où ils vivent. La même volonté est à la source de la récente création de l’Artothèque, qui permet d’accrocher chez soi des œuvres de créateurs de la région.
A-t-il été difficile de convaincre le personnel de la bibliothèque ?
Aucunement. Je dispose d’une équipe remarquable, cinq agents très motivés et toujours partant pour des expérimentations. La bibliothèque estivale hors les murs a été vécu par eux comme une véritable une bouffée d’air.
Propos recueillis par Vincent Rouillon