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Lecture publique

Deux études atypiques sur les bibliothèques

Par 8 juillet 2019septembre 17th, 2019Aucun commentaire

Les bibliothèques, qu’ont aurait pu croire menacées dans leur raison d’être même par le numérique, sont en plein essor. L’accès aux documents n’est donc qu’une part de leur apport, puisque de ce point de vue, elles ne peuvent se mesurer aux infinies possibilités de la Toile. Leur service rendu aux citoyens et à la société est ailleurs. Telle est la conclusion convergente de deux récentes études, l’une sur les multiples impacts positifs des équipements de lecture publique, l’autre sur les non-usagers des bibliothèques : ne pas les fréquenter n’empêche en rien de les estimer indispensables.

Les 12 impacts positifs des bibliothèques publiques

« Comment apprécier les effets de l’action des bibliothèques publiques ?« ,
enquête de l’Observatoire des politiques culturelles (mars 2019)

En préface, Martin Ajdari, Directeur général des médias et des industries culturelles (DGMIC), pose la question : « Quels sont les effets des bibliothèques de lecture publique sur les individus et les territoires ? » Réponse en introduction du directeur de l’OPC, Jean-Pierre Saez : « Une bibliothèque, c’est la promesse de comprendre, côte à côte, le monde et les êtres humains, de comprendre ce que nous vivons ensemble, comment nous vivons ensemble, pour tenter, peut-être, de répondre à l’angoissante question que posait Alain Touraine il y a plus de vingt ans : “Pourrons-nous vivre ensemble ?” »

Les six registres d’impact des bibliothèques publiques

Croiser deux mondes. La bibliothèque influe sur deux mondes distincts : le « monde civique », équité, solidarité, liberté : en quoi la bibliothèque y contribue-t-elle ? Et le « monde inspiré », émotions, passions : la bibliothèque favorise-t-elle ce type d’expression ? Dans l’un et l’autre cas, la réponse s’avère positive. Mais surtout, c’est par sa capacité à entremêler ces deux mondes que son rôle apparaît majeur en articulant l’enrichissement de soi-même et le respect d’autrui. Ce que montrent ses douze impacts positifs.

  1. Développement des facultés cognitives individuelles. La lecture favorise les capacités de compréhension, la maîtrise du langage, le raisonnement. De plus, en tant qu’espaces d’animation culturelle, l’offre d’écoute et d’éducation musicales des médiathèques améliore le quotient intellectuel et les compétences phonologiques, tout comme la pratique du théâtre développe les compétences verbales, les arts plastiques les aptitudes au raisonnement géométrique et la pratique de la danse les compétences visuo-spatiales…
  2. L’aptitude à la “littératie”, qui est « l’ensemble des aptitudes à comprendre et à exploiter une information dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ». Par leur offre de documents tant écrits que visuels ou sonores, les médiathèques contribuent activement à développer une chaîne de compétences allant de l’identification d’un besoin d’information à la capacité à en tirer des conséquences pratiques.
  3. Construction de soi : élaboration de l’imaginaire. « Les objets culturels que l’on peut trouver dans une bibliothèque participent éminemment à la formation de la sensibilité et de l’identité de celui qui les rencontre. » Une construction de soi nécessaire à la compréhension de la diversité des mondes et à l’empathie.
  4. Formation à la civilité. La construction de son imaginaire contribue également « au sentiment d’appartenance à une communauté » et au partage de ses valeurs. En cela, « la bibliothèque peut aider à développer la citoyenneté et le civisme ».
  5. Favoriser l’“encapacitation”. Cette notion indique le fait de donner ou de renforcer le pouvoir d’agir dont disposent effectivement les individus et collectifs vivant sur un territoire donné dans quelque domaine que ce soit : artistique, culturel, social, etc. « Les bibliothèques de lecture publique œuvrent assez largement en ce sens non seulement en donnant un accès libre et gratuit au plus large éventail des sources d’information disponibles, mais en offrant aussi la possibilité d’espaces de rencontres et de débats en leur sein. »
  6. Encourager les pratiques culturelles et numériques. On est ici au cœur des missions des bibliothèques qui vont au-delà de la seule compétence de la lecture.
  7. Densifier les réseaux et partenariats. Quand elles tissent des liens avec les autres acteurs de leur territoire d’implantation, les bibliothèques contribuent à « l’existence et à la vitalité d’un large écosystème local ».
  8. Promouvoir la démocratisation culturelle et l’égalité des chances… Sur ce point, les bibliothèques illustrent de manière exemplaire ce cercle vertueux énoncé par l’Unesco : « La culture appartient à la communauté tout entière et c’est à elle qu’elle doit retourner » (Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles).
  9. … ainsi que la réussite éducative. L’enquête souligne notamment qu’au-delà de l’évident apport de savoirs multiples disponibles dans les bibliothèques, leur travail de socialisation constitue également une condition de la réussite éducative. Et ce très clairement en proposant aux scolaires et aux étudiants des espaces de travail, par exemple au moment des examens.
  10. Augmenter l’employabilité. Le cadre social dans lequel on fait valoir ses compétences joue un rôle essentiel : « L’employabilité repose sur un équilibre entre les compétences de l’individu et son environnement » (structures, institutions, marché du travail local..). « La bibliothèque participe pleinement de cet environnement. »
  11. Améliorer de la tranquillité publique… Selon l’enquête, les tensions sociales naissent d’une absence de rencontre entre catégories de population. En tant que 3e lieu, « la bibliothèque peut jouer un rôle dans l’apaisement du climat social sur un territoire donné ».
  12.  … et l’attractivité du territoire. Ce dernier impact positif s’articule sur la notion de « compétitivité culturelle » d’un territoire pour sa vitalité démographique et économique. Au bénéfice de la première la bibliothèque attire et maintient des populations. Pour la seconde, elle participe à la construction d’une image dynamique.

L’étude de l’OPC constitue un bel hommage rendu aux bibliothèques et à leur évolution et peut-être un exemple à suivre pour l’ensemble des lieux culturels.

 

Valeur d’image, valeur d’usage des bibliothèques

« Les non-usagers des bibliothèques« ,
étude quantitative du Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, DGMIC (mars 2019)

Une enquête de 2016 était consacrée aux “Publics et usages des bibliothèques municipales”, avec le constat positif d’une fréquentation atteignant 40% de la population française. Arithmétiquement, la conclusion s’imposait : 60% des Français n’ont pas fréquenté (dans les douze derniers mois) les établissements de la lecture publique.

Qui sont-ils ? Et pourquoi ne vont-ils pas en bibliothèque ? Paradoxalement, les réponses à ces deux questions sont tout à l’honneur des bibliothèques. D’une part, il n’y a pas de public “éloigné” puisque le non-usager peut être n’importe qui. D’autre part – là réside l’enseignement majeur de l’étude –, la grande majorité des non-usagers en a une image très positive : les non-usagers « peuvent connaître la bibliothèque et en apprécier la valeur pour leur entourage ou en tant que bien commun à tous, sans pour autant les fréquenter. Dès lors, la valeur et l’image des bibliothèques peuvent se construire au-delà de leur valeur d’usage. »

Ainsi s’affirme, en creux, la nature essentielle de service public de la culture des bibliothèques : un équipement travaillant au bénéfice de l’intérêt général et non du seul usage par des particuliers.

Entrée d’une bibliothèque rurale

Le non-profil des non-usagers. On pourrait intuitivement penser que le profil du non-usager des bibliothèques recouperait peu ou prou celui des personnes improprement dites “éloignées” de la culture en général et du livre en particulier : surtout des hommes, aux revenus modestes et au niveau de qualification peu élevé. Eh bien non, pas du tout : ce sont autant des hommes que des femmes, les personnes peu diplômées sont très peu représentées chez les non-usagers (7%) et la répartition selon les revenus ne diffère pas de celle de la population française en générale. Enfin, « le non-usage des bibliothèques municipales ne peut s’expliquer par un éloignement du domaine culturel ou un désintérêt pour la culture en général », ou même de la lecture : 60% d’entre eux ont acheté un livre ou une bande dessinée au cours de l’année.

La seule « variable prépondérante » est celle de l’âge : 72% des non-usagers ont plus de 35 ans ; une non-fréquentation qui s’accroît dans les tranches d’âgées supérieures (26% pour les personnes de 65 ans). Or l’âge est tout sauf une donnée stable, le passé des personnes âgées aujourd’hui n’étant pas celui de celles de demain. Or, considérant la non-fréquentation non pas au cours de l’année écoulée mais d’une existence entière, la tendance globale est à la baisse : en 2016, 87% des personnes avait été en bibliothèque à un moment ou un autre de leur vie pour seulement 72% en 2005.

Les non-raisons de la non-fréquentation. La première hypothèse pour expliquer la non-fréquentation semble devoir être l’éloignement physique. Ce n’est pas le cas : 91% des non-usagers déclarent disposer d’une bibliothèque municipale à proximité de leur lieu de résidence.
Il semble que la principale raison repérable de la non-fréquentation des bibliothèques est qu’elles sont mal connues : seules 5% des non-usagers déclarent avoir une bonne connaissance de l’offre proposée par les bibliothèques de proximité et 26% déclarent n’en avoir qu’une connaissance partielle. « Finalement, 65% des non-usagers qui disposent d’une offre de proximité n’en connaissent pas le contenu. »

Un constat qui fournit une indication majeure quant aux politiques, notamment de communication, qui pourraient se développer mais qui augure également positivement de l’avenir ; sachant que 92% des établissements de lecture publique mettaient en œuvre, en 2015, des partenariats avec les écoles primaires, dans quelques générations, cette méconnaissance du contenu de l’offre des bibliothèques devrait appartenir au passé.

Ne pas fréquenter mais estimer : la “valeur du non-usage”. Quoi qu’il en soit, ne pas fréquenter les bibliothèques ne procède aucunement d’une déconsidération quant à leurs missions et à la manière dont elles les remplissent. On peut, sans s’y rendre, apprécier la « valeur d’existence » des bibliothèques (en reconnaître la qualité), la « valeur d’option » (la possibilité d’un usage futur), ou encore la « valeur de legs » (l’intérêt pour les générations à venir).

Plus encore, l’image ne pâtit ni ne procède du non-usage. La perception des bibliothèques et de leur modernité recueillent deux fois plus de réponses favorables que défavorables (avec toutefois un taux notable de non-réponses aux items suivants, preuve là encore d’une méconnaissance plus que d’un dédain) :

  • 63% des non-usagers estiment que la bibliothèque est un lieu d’accès à une grande diversité de documents (seuls 19% la pensent concentrée sur le seul livre),
  • 45% la jugent moderne, contre 24% vieillotte,
  • 45% également plébiscitent sa fonction d’espace de rencontre (27% estimant l’inverse),
  • 43% y voient des établissements “assez fréquentés” (contre 38%),
  • enfin, les bibliothèques sont “attirantes” pour 42% des non-usagers, alors que seuls 21% leur attribuent une image d’austérité.

Au-delà de la lecture publique. Que la valeur d’image de la bibliothèque s’élabore en partie indépendamment de sa valeur d’usage interroge l’évaluation même de leur action, habituellement menée à partir de données chiffrées sur sa fréquentation. Et si son apport était ailleurs, plus diffus ? Et si sa fonction sociétale primait sur sa mission culturelle ? « Peut-être reste-t-il encore à mieux distinguer l’ensemble des impacts qu’elle peut avoir sur un territoire et une population », s’interroge en conclusion le rapport. L’enquête de l’OPC sur les douze impacts des bibliothèques, selon une progression allant de l’individu au territoire, constitue une première réponse.