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Journées d’Avignon : en attente d’une “véritable” décentralisation

Par 6 septembre 2022mars 20th, 2023Aucun commentaire

“”Le thème est ancien. Il est aussi d’actualité : la décentralisation demeure l’horizon de politiques culturelles plus proches des habitants et des territoires, plus attentives à la diversité et plus en phase avec la prépondérance croissante des collectivités territoriales dans le financement public de la culture. En collaboration avec la revue Nectart (éd. de l’Attribut), la FNCC organisait à Avignon un débat à la fois d’histoire et d’avenir – « De 1982 à 2022 : la décentralisation contre vents et marées » – réunissant deux vice-présidents de la FNCC, la directrice de la DRAC Nouvelle-Aquitaine et le chercheur Philippe Teillet. Un échange avec en toile de fond les récentes décisions de la région Auvergne-Rhône-Alpes quant à la modification des destinataires prioritaires de ses aides. Synthèse.

Philippe Teillet est l’auteur d’une étude titrée « A quand une politique culturelle véritablement décentralisée ? » Une formulation qui souligne une attente, peut-être même une certaine impatience. « Avec la formule « à quand », le titre de l’étude exprime une urgence et le sentiment qu’on se trouve au milieu du gué, en attente. De quoi ? De davantage de transferts ? D’autre chose ? » Des questions qui appellent aussi à une redéfinition la nature même de la décentralisation « Le terme le plus signifiant de mon étude est « véritablement ». » Il y aurait donc eu des décentralisations non véritables… « Finalement, il y a eu très peu de décentralisation mais un système de polycentrisme au service d’une compétence générale, avec des financements croisés que le milieu culturel a cherché à conforter. »

Son exposé introductif retraçant l’histoire de la décentralisation se clôt à l’orée du questionnement suivant : « Faut-il plus de décentralisation ou un autre rapport entre l’Etat et les collectivités ? » Une interrogation à laquelle répond un autre texte dont l’animateur et directeur de la revue Nectart, Eric Fourreau, précise qu’il a servi de point d’appui pour la préparation du débat. Le manifeste de la FNCC « Pour une République culturelle décentralisée » plaide en effet explicitement pour la mise en place d’un « autre rapport ».

Pour une nouvelle relation entre l’Etat et les collectivités. Alexie Lorca, maire-adjointe à la culture de Montreuil et vice-présidente de la FNCC, part du terrain, de ses spécificités et de ses inquiétudes. Principe général : « Pour l’Etat, la décentralisation ne doit pas être synonyme de désengagement. Or, depuis des années, les transferts de responsabilités ne sont pas corrélés à des transferts financiers. » Et les collectivités, qui assument 70% de la dépense culturelle publique, se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté budgétaire. « Nous sommes dans une dangereuse situation d’étranglement. Il faut recourir à de nouvelles formes de contractualisation entre les collectivités et l’Etat – on ne peut pas fonctionner via des appels à projets –, des contractualisations sur la durée, au plus près des territoires, comme les contrats Territoires/lecture. »

Contractualiser dans la durée suppose « un rapport de confiance réciproque via une vraie concertation car nous, élus locaux, nous sommes au plus près des habitants et les territoires ne sont pas semblables les uns aux autres. Il faut tricoter au plus près, au bénéfice de tous. » Cela suppose aussi que les DRAC aient les marges de manœuvre nécessaires pour accompagner l’action dans la proximité des collectivités. « Il faut à la fois un ministère de la Culture fort et davantage de concertation, donc plus de moyens pour les DRAC. » Peut-être aussi nouveau cadre législatif pour contrer d’éventuels désengagements…

Pour Maylis Descazeaux, DRAC Nouvelle-Aquitaine, la loi va déjà en ce sens : « Je veux rappeler que la culture fait partie des compétences partagées : le développement de la responsabilité de chacun constitue en soi un enjeu démocratique, précisément pour s’adapter aux territoires. » Pour Fabien Le Guernevé, maire-adjoint à Vannes et vice-président de la FNCC, ce partage s’appelle également autonomie. « Je crois beaucoup à la « différenciation », car chaque territoire porte des enjeux spécifiques auxquels il faut répondre. Donc la décentralisation, oui, mais surtout la territorialisation. On a besoin d’un peu d’autonomie. » D’où son appel, à l’instar de l’Alsace, à une « loi Bretagne », notamment pour le développement de la langue bretonne.

Dessin de Mathilde Gueguan

Le président de la FNCC renchérit en citant à son tour l’exemplarité des contrats Territoire/lecture – une contractualisation avec l’Etat, via la dotation générale de décentralisation, autour de projets des collectivités – en les opposant au modèle descendant du pass Culture qui, « décidé d’en haut et procédant par une application unilatérale, sans prise en compte de l’expérience des collectivités, n’a pas bien fonctionné. » D’où cette proposition : puisque la ministre a annoncé la création d’un Fonds d’innovation territoriale, « ce pourrait être une voie pour imaginer d’autres clefs de répartition, en prenant en compte les spécificités territoriales ».

Consultation obligatoire des CLTC. Pour développer de nouveaux liens de confiance entre l’Etat et les collectivités, il faut des endroits non juste pour échanger mais pour entériner des orientations communes. Alexie Lorca cite ici l’une des principales propositions du manifeste 2022 de la FNCC. La Fédération « propose de rendre obligatoire la consultation du Conseil national des territoires pour la culture et de leurs déclinaisons en région. Cela me semble capital. »

Pour sa part, Fabien Le Guernevé met en avant la tradition de concertation propre à la Bretagne, un savoir-faire que l’on retrouve à l’œuvre dans le 3CB (Conseil des collectivités pour la culture en Bretagne). Cette instance singulière conjugue l’esprit d’une commission culture Conférences territoriales de l’action publique voulues par la loi LCAP et le principe des CLTC tout en y ajoutant celui de la concertation entre élus et acteurs locaux, à la façon des Coreps. « En Bretagne, on a l’habitude de se serrer les coudes – une nécessité dans un territoire excentré. »

Frédéric Hocquard reprend à son tour l’idée d’une consultation obligatoire des CLTC, selon un format de fait assez proche de sa version bretonne, pour l’expliciter en faisant référence au dialogue particulièrement efficace et mutuellement respectueux entre le Service du livre et de la lecture du ministère et les collectivités. « Quand la FNCC parle de consultation obligatoire du CNTC et des CLTC, c’est dans l’esprit de la DGD : pour que les politiques légitimement impulsées par l’Etat puissent s’articuler sur les territoires. Sinon, les politiques culturelles vont se déliter et les décisions du type de celle de la région Auvergne-Rhône-Alpes se multiplier, non parce qu’on ne veut plus mais parce qu’on ne peut plus. »

Une perspective à laquelle la DRAC Nouvelle-Aquitaine se dit « assez sensible ». « Ce serait une façon d’avancer de manière articulée, par exemple pour la question de l’égalité femme/homme ou pour le « 100% EAC ». Même s’il existe déjà des espaces de concertation, un CLTC qui aurait à se positionner clairement serait en effet bénéfique. Je retiens l’idée de passer d’une instance consultative à une instance décisionnelle. »

Le paradigme des langues minoritaires. Une réalité incarne tout particulièrement les différents enjeux d’un nouvel esprit et d’une nouvelle pratique de la décentralisation : instituer des dispositifs de droit commun tout en respectant les spécificités territoriales et faire confiance aux initiatives des collectivités en les adossant à un Etat culturel stratégique et fortement doté.

Lors des échanges, le maire-adjoint de Vannes a cité à maintes reprises l’importance de pouvoir mener une politique active en faveur des langues régionales, en l’occurrence le breton, avec l’appui de l’Etat. Pour sa part, dans son intervention remettant en cause le volontarisme centralisateur dont procède à ses yeux le plan « Marseille en grand » voulu par le président de la République, l’adjointe en charge de la culture du 1er arrondissement de Marseille, Agnès Freschel, déclare : « L’Etat a lancé le plan Marseille en grand. Ce sera le cinéma. Mais nous n’avons pas envie d’être la ville du cinéma… Marseille est la ville des langues minoritaires. Nous avons besoin de travailler sur cet enjeu. » Une attente spécifique qui, pour autant, s’inscrit dans la dimension unitaire de la république : « Je me méfie de la notion de « spécificité des territoires ». On a tous besoin de droit commun. »

Pour sa part, Alexie Lorca nomme le principe permettant de conjuguer le droit pour chacun et le droit pour tous, la différenciation et la décentralisation. « Quatre-vingt-dix langues sont parlées à Montreuil. Voilà une spécificité territoriale et, pour ma part, je ne pense pas qu’on puisse dégager une théorie globale et des dispositifs univoques à part les droits culturels. »

« Merci d’avoir retissé l’histoire de la concertation entre les collectivités et l’Etat. Le récit est important. Or, quand on raconte les politiques culturelles, il n’y a bien souvent rien sur les collectivités. » Frédéric Hocquard

Pour un nouveau « récit » des politiques culturelles. C’est sur cette tension conceptuelle que se clôt les divers scénarios envisagés pour l’avenir de la décentralisation. Tous en appellent à une meilleure reconnaissance de la place décisive des collectivités, interlocuteurs incontournables de l’Etat. Maylis Descazeaux confirme que ce mouvement est d’ores et déjà engagé. Non seulement l’Etat répond présent auprès des collectivités – « en matière de désengagement, on peut remarquer que les budgets des DRAC ont toujours augmenté » – mais il admet pleinement la prépondérance de leur engagement culturel : « Il serait absurde de nier la prééminence des financements locaux. »

En conclusion, le président de la FNCC adresse un remerciement proprement politique à l’ensemble des intervenants. « Merci d’avoir retissé l’histoire de la concertation entre les collectivités et l’Etat. Le récit est important. Or, quand on raconte les politiques culturelles, il n’y a bien souvent rien sur les collectivités. » Une remarque qui rejoint sa préface à la première étude consacrée aux élus à la culture, réalisée en partenariat par l’Observatoire des politiques culturelles et la FNCC (septembre 2022) : « Tropisme français : dans notre république décentralisée, on continue trop souvent à tout rapporter à l’action de l’Etat. » Ce débat d’Avignon semble indiquer que cette invisibilité relève du passé.


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