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La culture au cœur du village

Par 13 mai 2019juillet 12th, 2019Aucun commentaire

L’Assemblée générale 2019 de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) s’est tenue à Najac au VVF Village les Bastides en Aveyron/Le Puech Moutonnier, du 5 au 7 avril. Un seul thème, préparé en lien avec la FNCC qu’une convention lie à l’AMRF : “La culture au cœur du village“. Soit un pari tant d’autres thèmes comme l’intercommunalité, les dotations, la fiscalité locale… semblaient risquer de reléguer à l’arrière-plan l’intérêt pour la culture. Mais un pari réussi au-delà des espérances tant il est apparu que parler de culture c’était explorer le cœur même de la démocratie territoriale et découvrir des voies de confiance en l’avenir de territoires ruraux. Quelques échos de la journée de réflexion et d’échanges du samedi 6 avril.

Enseignement majeur de l’Assemblée générale de l’AMRF : le succès de la thématique choisie. Jean Piret, maire de Suin, membre du Conseil d’administration de la FNCC, a ainsi salué le vif intérêt pour la culture manifesté par l’ensemble des maires ruraux présents. « C’est une réelle bonne surprise ! » Et ce d’autant plus, insiste-t-il, qu’on sait le rôle de variable d’ajustement budgétaire que jouent souvent la culture et le sport.

Plus qu’une volonté de soutien à la culture, il s’agissait aussi de la revendication d’un droit. La culture relève en effet, comme l’a exprimé Florian Salazar-Martin, vice-président de la FNCC et maire-adjoint de Martigues, des droits culturels en un sens inédit : le droit des élus à accompagner, sur leurs territoires et à partir de leurs richesses spécifiques, à travers le génie propre de chaque commune, leur ambition pour le développement du territoire, le lien social, le dynamisme et le rayonnement de la vie artistique et culturelle pour et surtout avec les habitants.

Vanik Berberian ouvre la journée de réflexion

“Ouvrir une fenêtre pour regarder plus loin”. Le président de l’AMRF, Vanik Berberian ouvre cette journée de réflexion sur la culture en l’opposant aux préoccupations quotidiennes des maires ruraux : « Le choix du thème de cette Assemblée générale procède d’une envie d’échapper des problématiques habituelles des maires. Peut-être est-ce intéressant d’ouvrir une fenêtre et de regarder un peu plus loin. » Puis cet éloge de la culture. « La culture, ce sont à la fois des choses grandioses et des infiniment petites. Une palette si vaste qu’elle en est première. C’est ce qui nous construit et nous éduque. »

Une conviction que partagent tous les orateurs de ce moment d’ouverture. Pour le maire de Najac, Paul Martin, la culture c’est ce qui rejoint le passé et l’avenir : « Ne pas oublier pour mieux avancer. » « La culture est le dernier rempart contre la bêtise, le pain de l’esprit. C’est aussi un facteur essentiel pour l’attractivité des territoires et un élément touristique, économique majeur », poursuit Jean-François Gaillard, président du conseil départemental de l’Aveyron. Pour Stéphane Bérard, conseiller régional d’Occitanie, « il n’y a ni égalité des territoires ni citoyenneté pleine et entière sans la culture ». Et Catherine Sarlandie de la Robertie, préfète de l’Aveyron, confirme au nom de l’Etat : « La culture est notre part d’humanité à tous. »

L’AMRF a proposé quatre ateliers : “Le numérique et la culture”, “Le patrimoine, sa gestion, et les métiers d’art”, “Les lieux de pratiques culturelles” et “Comment faire de la politique publique à partir d’une vision culturelle ?” – les deux derniers étant animés par des élus, notamment de la FNCC, et des représentants de l’agence culturelle régionale Auvergne-Rhône-Alpes (AURA).

Atelier “Les lieux de pratiques culturelles”. Nicolas Riedel (AURA) introduit l’atelier en soulignant que les équipements ne sont pas seuls porteurs de culture. Ainsi en est-il des initiatives hors-les-murs, des lieux “éclatés” comme la Smac de la Drôme, des tiers-lieux, des cafés-culture… Leurs initiatives vont au-delà de l’offre pour s’engager sur d’autres formes d’actions dont le vecteur commun est la participation : ne plus faire pour mais avec.

Une perspective que les divers intervenants ont abondamment illustrée. Ainsi, Agnès Desjobert, de l’association “Pour que l’esprit vive”, décrit la programmation itinérante “Hors saison musicale” qui propose dans les villages ruraux, en hiver, des week-ends de musique classique avec des artistes de renommée internationale : concerts chez l’habitant (et hébergement également pour les musiciens) les samedis, puis dans l’église le dimanche.

L’intervention d’Yves Dumoulin, maire de Fareins et membre du Conseil d’administration de la FNCC, va dans le même sens de favoriser le lien social : « A Fareins, la culture est toujours abordée selon la même problématique : créer du lien entre les gens. La culture uniquement pour elle-même, ce n’est pas suffisant. » Ce qu’illustre dans sa commune autant un festival de jazz avec, au départ, des musiciens venus de Lyon, la Biennale d’art contemporain qui se déploie dans le village et au-delà en associant les écoles, ou encore un festival itinérant intergénérationnel (variétés, chanson, humour), allant de ferme en ferme, chez les habitants. « Toutes ces initiatives créent du lien social », grâce à la relation entre les artistes et les scolaires ainsi qu’avec les personnes âgées, mais aussi avec le monde économique au travers d’un club d’entreprises. Par exemple, l’installation d’une œuvre sur la place publique, malgré un premier moment de réticence, « fait aujourd’hui la fierté des habitants. C’est la plus grande réussite ! »

Najac

Deux autres témoignages ont illustré avec force et conviction la potentialité de lien social des initiatives culturelles. La directrice de la bibliothèque de La Fouillade (Aveyron, 1 000 habitants) décrit l’importance essentiel du travail avec les écoles, mais aussi à l’assistance maternelle et dans les haltes garderies. Elle souligne aussi la nécessité des partenariats avec les associations locales. Autre moyen de mettre la culture au service du vivre-ensemble, la diversité des actions proposées – ateliers d’écriture (« dont le succès m’étonne »), de tricot… – et le bruit : « Plus il y en a, plus je suis heureuse ! »

Elle plaide aussi pour l’investissement des événements nationaux, par exemple en résonance avec de grandes expositions parisiennes. Une idée que reprendra en fin de journée le président de l’AMRF : « Il est important de se saisir des événements nationaux : Printemps des poètes, Journée du patrimoine… Cela raccroche à ce qui nous dépasse et fait venir des gens d’ailleurs. »

Dernier témoignage de l’atelier, celui du “libraire-tartineur” Didier Bardy (Librairie des territoires). Une expérience et une réussite atypiques nées d’un rêve – « créer un lieu de rencontre autour du livre en se fondant sur l’utilité sociale », avec une ouverture les week-ends, pendant les vacances scolaires en ne fermant que quand les derniers partent – et réalisées avec pragmatisme et modestie. Il fait part cependant de cette inquiétude : le sentiment de « tout tirer tout seul »…

En conclusion, Yves Dumoulin indique en effet le danger d’une politique culturelle locale trop tributaire des initiatives individuelles des habitants, même si leur engagement constitue un apport précieux : « Il faut disposer d’un lieu culturel de référence. Bien souvent ce sont des personnes qui portent les projets ; alors cela peut s’arrêter. Dans le domaine culturel, on doit jouer la complémentarité. Le plus important, c’est la capacité d’articuler toutes les énergies : organisateurs, artistes et élus. »

L’atelier “Comment faire de la politique publique à partir d’une vision culturelle ?”, animé par Marie-Jeanne Béguet, maire de Civrieux et vice-présidente en charge de la culture à l’AMRF, et Léo Anselme de l’AURA, avait pour intervenants le conseiller régional d’Occitanie Stéphane Berard et Jean Piret, maire de Suin et membre du Conseil d’administration de la FNCC. La maire de Civrieux a exposé l’ensemble des facettes de sa politique en faveur de la culture, mettant tout particulièrement en avant le rôle de la médiathèque et l’importance de l’engagement des bénévoles.

  • L’atelier s’est ensuite axé sur une critique des communautés de communes. Jean Piret a fait part de son expérience positive de l’intercommunalité : « Le Grand Charolais, soit 44 communes, comprend trois villes importantes : Paray-Le-Monial, Charolles et Digoin. Pour intéresser davantage les maires ruraux, l’EPCI a institué deux dispositifs réservés à leur usage et dont sont exclues les villes principales. »
  • Un Fonds d’animation communale (FAC), avec entre 500€ et 1 500€ d’aides souhaitant engager une action particulière dans leur commune.
  • Un Fonds d’aide à l’investissement rural (FAIR), que ce soit dans le domaine culturel ou dans d’autres. Ici, les aides de ce fonds doté de 300 000€ vont directement aux mairies

Jean Piret précise qu’il faut ajouter à ces deux fonds une dotation spécifiquement culturelle de plusieurs centaines de milliers d’euros pour soutenir par exemple des festivals ou des compagnies de théâtre, la seule condition étant que les professionnels ou compagnies interviennent dans au moins trois communes.

Plénière de l’après-midi : la culture, outil de démocratie. A ce moment de la journée, il était déjà manifeste que le choix du thème de la culture correspondait à une forte attente ainsi qu’à de réelles interrogations de maires ruraux. D’où l’ouverture de Marie-Jeanne Béguet : « Nous avons choisi la culture comme thème de cette Assemblée générale de la dernière année de mandat. Est-ce juste par ce que c’est un dernier sujet, celui qui reste ? Ou est-ce un choix pour terminer en apothéose ? Il s’agit bien de cette dernière ambition, sachant que 42% des budgets culturels publics proviennent des communes. La culture, c’est l’épanouissement individuel, une relation toute personnelle aux œuvres. Mais c’est également une question de connaissance pour tous et de liberté pour les collectivités. »

Yves Dumoulin, Florian Salazar-Martin, Cédric Szabo, Vanik Berberian, Carole Delga, Jean Piret

La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, prend à son tour la parole. Après un exposé des grandes lignes de la politique régionale en faveur des territoires ruraux – soutien aux petites lignes ferroviaires et à la couverture numérique, schéma régional d’aménagement du territoire (desserrement de la métropolisation, ambition de première région “énergie positive” pour répondre à l’urgence climatique…) –, elle expose sa philosophie pour la politique culturelle régionale : « La culture est un outil d’apaisement et d’ouverture à l’autre. » « L’autre » sera ici le migrant dont elle décrit avec beaucoup d’émotion la souffrance. L’Occitanie a toujours été un carrefour et doit rester une terre d’accueil car « la générosité constitue la grandeur de la France ». Très applaudie, la présidente de Région a conclu par sa confiance en l’avenir des territoires ruraux.

« La culture tient un rôle précieux et salvateur pour le vivre ensemble et l’économie de nos territoires. C’est ce qui ressort de manière enthousiaste des échanges autour du thème “la culture au cœur du village”. » Extrait de la  »Résolution finale » adoptée par l’AMRF

Un avenir qui passe essentiellement par la solidarité entre les habitants. Evoquant le succès du Garonna Festival à Port-Sainte-Marie, près de Saint-Laurent (Lot-et-Garonne), le maire de ce dernier village, Guy Clua explique que Port-Sainte-Marie a vécu le traumatisme d’un village séparé des rives de son fleuve par des infrastructures routières et ferroviaires ; un traumatisme en partie surmonté grâce au festival de musique qui a su le faire revivre. « Si tous, musiciens, élus et habitants joignent leur volonté, on peut réellement faire quelque chose. »

Il en va de même pour Fred Sancère, directeur du projet artistique et culturel de Capdenac (Lot) “Derrière le Hublot”, qui souligne l’importance du soutien des élus. Son travail de médiation, explique-t-il, s’appuie sur une conviction essentielle : « Il faut se défaire de l’idée que les gens des territoires n’auraient pas de culture : chacun doit être conscient de sa culture propre et pouvoir l’exprimer. C’est la question des droits culturels. »

A son tour, la sénatrice de l’Yonne, membre de la commission culture, ancienne élue de Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne), Dominique Vérien, décrit les conditions de la réussite culturelle sur son territoire, pays de Colette mais aussi « pays de richesses patrimoniales que les habitants ne voient plus » : c’est sur ces atouts que la municipalité a misé, construisant une saison qui a permis d’attirer de plus en plus de personnes. « Grâce à toute cette activité, il y a toujours du monde au village. »

Guy Sallavuard, directeur des relations institutionnelles à la Fondation du patrimoine : « Le patrimoine constitue la première richesse des territoires ruraux. C’est de plus la porte la plus ouverte au plus grand nombre pour accéder à la culture. » Il précise ensuite les cinq conditions pour assurer l’efficacité d’une politique patrimoniale : l’éducation historique (en s’appuyant sur les associations de défense du patrimoine), une approche large (au-delà des seuls bâtiments classés ou inscrits), le tourisme (« le patrimoine restauré peut “gagner sa vie” »), la « métamorphose » : quand le besoin auquel répondait le bâti ancien évolue – « églises sans fidèles, gares sans trains… » –, il peut vivre une autre vie. Et bien sûr l’argent pour lequel on peut recourir à la générosité publique et au mécénat populaire.

Le DRAC d’Occitanie, Laurent Roturier, clôt la plénière par un hommage aux organisateurs de l’événement en transmettant le message du ministre de la Culture qui remercie l’AMRF d’avoir choisi pour son Assemblée générale le thème de la culture, un message fort aux élus ruraux ainsi qu’à la population.

Les droits culturels ou le rôle central des habitants. Animé par Florian Salazar-Martin, ce dernier temps de la journée de réflexion a permis aux élus de témoigner de très nombreuses initiatives culturelles construites avec les habitants. Florilège de témoignages et de questionnements. Rappelant l’histoire de la FNCC, il expose l’objectif premier, qui reste d’actualité, de la Fédération : « Donner à voir et valoriser ce qui se fait dans les territoires, villes ou villages » et militer pour que chacun puisse construire son propre parcours culturel.

D’où ces deux questions : Faut-il développer la participation de chacune et de chacun aux initiatives culturelles? La forme descendante – celle de la démocratisation culturelle – n’est-elle pas dépassée ? Les nombreuses interventions tendent toutes vers une réponse par l’affirmative.

  • « La co-construction consiste à porter humainement les projets. Le vivre ensemble n’est possible que par le faire ensemble. »
  • Pour un autre élu, tout projet doit s’appuyer sur un porteur de projet. « Le rôle d’une municipalité est de pouvoir dire oui. »
  • Parfois la participation, nécessaire, peut constituer un frein temporaire. Ainsi, ce témoignage d’un projet de sauvetage d’un presbytère menaçant de ruine et qu’un projet de musée d’art naïf a permis de restaurer. Au départ, l’idée de musée ne passait pas auprès des habitants. Pourtant, après d’innombrables réunions, le musée fonctionne remarquablement bien grâce à une équipe de bénévoles.
  • Histoires de loups. « J’ai installé une remorque de foire dans un bois et proposé un sujet – le loup – en demandant aux habitants qui le souhaitent de venir y raconter des histoires de loup. Dix personnes sont venues. Toute la population était là pour ce projet qui n’a rien coûté. En partant, on m’a demandé le sujet de l’année prochaine. C’était gagné ! »

Florian Salazar-Martin interroge : « La participation relève-t-elle d’une illusion ? Les gens n’ont-ils pas leurs propres ressources culturelles ? N’est-ce pas notre regard qui définit ce qu’ils sont ? » Les interventions ont montré d’une part que, si la participation peut certes parfois relever d’une forme d’instrumentalisation politique, en territoire rural elle est au contraire un outil de respect et d’efficacité. Et d’autre part, qu’elle permet de reconnaître non seulement ce que les gens sont mais ce qu’ils souhaitent que le territoire devienne.