L’étude sociologique “Festival, territoire et société”, réalisée par les chercheurs Aurélien Djakouane et Emmanuel Négrier, a été présentée, le 1er décembre à Toulouse, à l’occasion de la 3e édition des Etats généraux des festivals, aux côtés d’un autre texte, lui politique, sur l’engagement de l’Etat vis-à-vis des festivals. Le premier montre l’ampleur prise par la “festivalisation” de la vie culturelle et le second en tire la conséquence politique pour la puissance publique, Etat comme collectivités : la nécessité d’une réelle politique en faveur des festivals et non d’une utilisation des festivals en faveur d’une politique, les deux restant complémentaires. Ce travail qui, enfin, dresse un tableau complet des festivals plaide en faveur d’un renouveau de la responsabilité du politique à leur endroit, à la mesure de leur importance – dévoilée par « l’expérience du vide, du manque » consécutive à la crise sanitaire.
La remarque vient en fin d’ouvrage, à propos d’un type particulier de festivals, celui que, dans leur typologie en “sept familles”, les auteurs dénomment les “Petits formats”. Il s’agit de festivals de moyenne envergure, ancrés sur le bénévolat et le dynamisme associatif, fortement soutenus par les collectivités, mais peu enclins à la professionnalisation. D’où une remarque qui indique bien que la prise de conscience de l’importance de la vie festivalière gagnerait à s’adosser sur une volonté politique nouvelle en ce qu’elle ne doit pas avoir seulement pour finalité les “retombées externes” des festivals (économiques, d’attractivité), ni même politiques (animation de la vie culturelle et artistique locale, démocratisation des publics) mais aussi, et peut-être surtout, une finalité artistique et professionnelle : assumer la responsabilité de contribuer à faire vivre l’écho système festivalier dans sa diversité. Une responsabilité en somme d’employeur, avec ce que cela exige de recours au contrat de travail et de soutien au monde associatif.
Ce modèle des “Petits formats” « interroge. D’abord, il entretient une vision de l’action culturelle tout entière tournée vers la promotion des arts sans se soucier des personnels qui la portent. » Il interroge aussi sur le lien aux associations (et implicitement au bénévolat) dont l’énergie est davantage mise au service d’une intention politique que d’un soutien à l’écosystème des festivals. Ce modèle interroge aussi « sur la responsabilité sociale des collectivités territoriales dans le secteur culturel. Le modèle économique dont témoignent les “Petits formats” illustre le caractère parfois paradoxal de l’usage des subventions, ici dans une logique d’essaimage plus que dans une intention de structuration d’une offre festivalière. »
Le festival n’est pas le couteau suisse des politiques culturelles. Peut-être est-ce là l’enseignement majeur de cette étude sur « l’empreinte sociale et territoriale des festivals » – à la fois « la façon dont un festival influe sur le regard et la définition qu’un territoire a de lui-même » et à la façon « dont un territoire et sa société influencent la nature et le destin d’un festival » – : on ne doit plus (seulement) faire de la politique avec les festivals mais une politique des festivals.
Or, aujourd’hui, face à la croissante très importante de la fréquentation des festivals, notamment par les jeunes, « la tentation est grande de faire du festival la modalité répondant à tous les enjeux d’action publique ».
Certes, avec les années Lang, « le sens de la fête est devenu constitutif d’une légitimité nouvelle de la culture ». Certes « l’événementialisation de la culture s’est progressivement imposée comme un phénomène mondial ». Et, avec elle, « les qualités propres que les opérateurs prêtent à l’événement en matière de médiatisation, d’hybridation des pratiques sociales et culturelles, et d’émulsion collective ont été placées au centre de l’agenda ». Mais, préviennent les auteurs, trop éphémère pour être réellement un outil des enjeux au long cours des politiques culturelles et trop empreint par la magie de la « puissance de l’instant » qu’il importe de respecter, « le festival n’est pas le couteau suisse des politiques culturelles ». On ne remplace pas « la fidélité » (à une saison) par « la convivialité » d’un moment festif. La bonne question est donc celle de la complémentarité entre événementiel et permanence, entre action de fond et vitalité momentanée.
Les sept familles de festivals. La responsabilité professionnelle et sociale des pouvoirs publics vis-à-vis des festivals s’impose d’autant plus que, dans la typologie des “sept familles” proposée par l’étude, seules deux d’entre elles développent un modèle économique délié des subventions. Cinq catégories sont très ou assez dépendantes des financements publics :
- Les “Emblèmes” (2%), prestigieux, en petit nombre et porte-étendards à la fois d’un genre ou secteur esthétique et d’un territoire dont ils portent le nom, sont des festivals « dont le renom et l’attractivité obligent en quelque sorte les pouvoirs publics » (à les financer).
- Les “Marques” (3%), qui rayonnent toute l’année et mêlent une approche à la fois entrepreneuriale et territoriale, bénéficient « « « d’un niveau de subvention important, notamment de la part de l’Etat ». Au titre du modèle économique viable que leur assure leur audience et leur prestige, ce sont des festivals où « le soutien public apparaît fortement structurant sur l’ensemble de l’activité festivalière : des artistes au publics, en passant par les personnels ». Mais ils ne sont qu’une poignée.
- Les “Pôles publics” (15%) « incarnent une conception de festival en tant qu’instrument de politique publique, singulièrement pour les communes ». De tous les types de festivals, ce sont ceux dont le niveau de subvention est le plus élevé et ceux aussi qui contribuent le plus à la professionnalisation des acteurs. Mais ils restent fragiles, du fait notamment de leur faible recours au bénévolat. Leur ancrage territorial apparaît plus politique que social.
- Les “Petits formats” (20%), en revanche, témoignent d’une « stratégie d’intervention publique selon laquelle les collectivités s’appuient sur le dynamisme associatif – et indirectement sur la ressource du bénévolat – pour favoriser la vie artistique et culturelle de leur territoire et bâtir leur politique festivalière ». Mais, et à rebours des précédents, le niveau très important de leur soutien public ne bénéficie que peu à la professionnalisation.
- Les “Hors saison” (21%), enfin, se caractérisent par un modèle économique « d’équilibre entre ressources propres et subventions dont la régularité et la diversité des sources favorisent une stabilité de l’activité et une professionnalisation progressive des équipes ». Ils apparaissent comme le meilleur modèle d’une modalité de l’intervention publique conjuguant harmonieusement intentionnalité politique et structuration de la vie festivalière.
Restent deux “familles” qui mènent leur vie économique propre, sans soutien significatif de la puissance publique :
- Les “Grands formats” (5%), « qui cumulent offre et public de masse ». Souvent portés par des acteurs privés à but lucratif, ils recourent massivement au bénévolat (dont ils sont souvent issus). Conséquence : « Le choix de privilégier le volume de l’offre se fait très probablement au détriment de la professionnalisation des équipes. »
- Les “Volontaires” (33%) constituent la plus grande famille des festivals. Ils ne sont l’objet que d’un faible soutien public et illustrent « le volontarisme bénévole dans toutes ses dimensions ». Peu résilients, ce sont les plus fragiles et ceux qui ont particulièrement souffert de la crise sanitaire.
L’analyse s’appuie sur l’étude de 1 400 festivals, soit un échantillon considérable. Elle explore leur saisonnalité, leurs caractéristiques esthétiques, leur fréquentation, leur modèle économique, leur relation au territoire, leur contribution à la vie professionnelle, leur appui sur le bénévolat… Et forcément aussi leurs enjeux politiques : aujourd’hui, « parler de festival, c’est parler d’accès à la culture, d’horizons d’attente de publics qui cessent d’être passifs, de la contribution des bénévoles […], d’élus locaux qui tirent parti d’une occasion rare, en ces temps moroses, de célébrer une parenthèse heureuse et d’en retirer quelque légitimité. »
Une mutation anthropologique. Les festivals sont donc désormais incontournables. « La festivalisation n’est pas que l’essor quantifiable d’une série d’événements. Elle a une portée anthropologique, qui s’observe dans les pratiques sociales, et qui se traduit par une transformation de nos rapports à la culture. » De cette relation sinon inédite du moins historique par sa croissance exponentielle, il faut tirer les conséquences. En particulier celle d’une nécessaire vigilance vis-à-vis de mouvements de concentration qui peuvent à terme indexer les données de l’imaginaire partagé à des intérêts capitalistiques. Mais aussi, plus globalement – et à ce titre Festival, territoire et société relève autant du travail distancié propre à l’analyse scientifique que d’un plaidoyer militant –, celle d’une forte prise de responsabilité politique pour que vive et se développe l’écosystème festivalier.