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ActualitésPolitiques Culturelles

Un ministère victime de sa réussite

Par 14 décembre 2021décembre 17th, 2021Aucun commentaire

Le 14 décembre, à quatre mois des élections présidentielles, la Cour des compte a mis en ligne treize “notes structurelles” sur les politiques de l’Etat. L’une d’elles concerne les politiques culturelles. Avec un constat simple mais radical : en quelque sorte victime de son succès, le ministère de la Culture a mené à terme son projet initial de développement de l’activité culturelle sur tout le territoire, avec l‘appui croissant des collectivités. Mais, pour ce faire, il a multiplié ses opérateurs (opérateurs nationaux, institutions labellisées) et également largement accru son champ d’action, au point qu’il est aujourd’hui victime de son succès. D’où la nécessité de profondes réformes structurelles afin qu’il retrouve « son élan d’administration stratège ».

Au fil des années, « compte tenu du différentiel de croissance entre l’évolution du budget du ministère et celle des crédits consacrés à la culture par les collectivités territoriales, ainsi que des financements d’origine privée (ressources propres fortement croissantes des établissements, développement du mécénat et des lieux de culture privés), le pouvoir d’orientation et d’incitation du ministère s’est incontestablement émoussé ». Alors qu’au début des années 2000, seuls 38% des crédits ministériels étaient préemptés par les grandes institutions nationales, cette proportion s’est accrue à 45% en 2019. Inversement, les collectivités ont quasi doublé en quarante ans leur budget dévolu à la culture, soit 10Mds€ en 2019 – « plus de trois fois le budget de la mission “Culture” de l’Etat ».

Résultat aujourd’hui : « Les marges financières de l’Etat pour soutenir d’autres acteurs ont été réduites » et son « rôle central d’initiateur a perdu de son caractère primordial. On constate aussi un saupoudrage des aides selon une politique de guichet et de droits acquis difficile à remettre en cause, ce qui rend de moins en moins lisibles les priorités de la politique culturelle de l’Etat. » Certains vont jusqu’à questionner l’utilité même d’un ministère de la Culture…

Ce n’est pas le point de vue de la Cour des comptes. Tout au contraire, c‘est fort de son passé, de son expertise et de la place centrale que la culture a prise dans notre société grâce à son action que l’Etat culturel sera à même de faire face aux mutations contemporaines : extension de la sphère marchande, Gafam, rivalité de soft power, numérisation, interrogation sur le vivre-ensemble… « Ce sont là les nouveaux défis qui semblent appelés à prendre le relais de la politique de développement du paysage culturel menée avec succès lors des décennies passées. »

La Cour des comptes précise aussi qu’un ministère dédié à la culture demeure nécessaire, car les collectivités ne peuvent pas tout en ce domaine. « Le fait que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ait institué la politique culturelle en politique partagée entre l’Etat et les régions, départements et communes ne décharge pas l’Etat de la légitimité de porter un projet politique et sociétal en matière culturelle. » Une remarque qui exprime clairement la conviction que la décentralisation culturelle passe par l’articulation  entre pouvoir national et pouvoir local, et non par la substitution de l’un à l’autre.

Préconisations. Si le titre de la note de la Cour des comptes est “Recentrer les missions du ministère de la Culture”, son contenu va au-delà d’un simple recentrage, vers une profonde mutation tant de son périmètre de responsabilité, que de sa structuration tant nationale que régionale, ainsi que de ses moyens et de ses effectifs, en nombre comme en qualité. Aux yeux de la Cour des comptes, la mue nécessaire du ministère de la Culture doit procéder d’une « revue globale des missions » et d’une « redéfinition de ses objectifs stratégiques ». Cette perspective se décline en une dizaine de points dont certains rejoignent d’ores et déjà les choix actuels du ministère :

  1. réorienter l’action publique vers les territoires fragilisés,
  2. développer, en interministériel, « une vision de la culture participant de la mission générale d’éducation poursuivie par l’Etat et considérée comme un vecteur privilégié du lien collectif – ce qui implique en particulier un renforcement de l’action en direction de la jeunesse », selon un objectif de démocratisation culturelle s’appuyant sur de nouvelles formes d’EAC et des “initiatives inclusives” via « une stratégie de ciblage des actions et des aides en direction des territoires et publics défavorisés »,
  3. procéder à un « réexamen méthodique » des enjeux attachés à la conservation et à la transmission du patrimoine collectif aux générations futures ainsi qu’au soutien à la liberté de créer et à l’encouragement susceptible d’être apporté aux formes nouvelles de création, « en privilégiant la prise en charge des risques que seul l’Etat est en mesure de porter »,
  4. se concentrer sur la conservation, le développement et la promotion des savoir-faire, en confortant les filières des métiers d’art,
  5. développer l’enseignement supérieur artistique dans la visée de l’excellence et de sa reconnaissance au niveau mondial,
  6. fédérer les initiatives pour promouvoir la culture française et européenne sur la scène internationale, en intégrant l’importance du soft power,
  7. renforcer de la prise en charge de la question du numérique afin d’en faire un levier majeur de son action, notamment en matière de conservation, de valorisation et de diffusion de la culture, mais aussi comme vecteur de densification des contenus,
  8. se concentrer sur la fonction prospective de l’Etat,
  9. enfin achever le mouvement de déconcentration consistant à transférer à des opérateurs relevant de sa tutelle ou aux collectivités territoriales les activités opérationnelle, notamment pour les musées…
  10. … et pousser au maximum la déconcentration des processus de décision et de gestion au niveau des DRAC en en tirant toutes les conséquences quant aux moyens humains qui leur sont alloués et à l’évolution subséquente de leurs missions…

Autant de pistes adressées à l’Etat culturel pour réagir à « l’élargissement continu de son périmètre d’intervention et à l’atomisation croissante de son action » ainsi qu’à « l’affaiblissement des services centraux du ministère de la culture et à l’inadaptation des moyens de ses services déconcentrés » afin de retrouver « l’exercice de sa fonction stratégique d’inspiration et de pilotage des politiques culturelles nationales ». C’est-à-dire pour que le ministère de la Cuture puisse être demain à la hauteur de sa réussite historique dont la Cour des comptes constate qu’il en devenu, pour l’heure, la victime.


A télécharger
“Recentrer les missions du ministère de la Culture”, note structurelle de la Cour des comptes