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Le 1%, aux sources de la FNCC

Par 19 mars 2020mars 20th, 2020Aucun commentaire

Jack Ralite

Neuf ans après sa fondation, la FNCC défendait une idée qui peine encore parfois à se réaliser : consacrer 1% du budget de l’Etat à la culture. Portée avec force notamment par Jack Ralite, ce slogan budgétaire simple et efficace reste jusqu’à aujourd’hui central dans l’appréciation des politiques culturelles nationales.

En 2017, la ministre de la Culture d’alors, Audrey Azoulay, a tenu à préciser que le budget de son ministère repassait le seuil symbolique du 1% du budget de l’Etat, à 1,1%… Pourquoi cette proportion, au demeurant modeste, est-elle objet de fierté ? Parce qu’il s’agit d’une revendication formulée dès les années 70 par la Fédération nationale des centres culturels communaux (FNCCC). Depuis, c’est en effet à cette aune que se jauge l’effort de l’Etat en faveur des arts et de la culture.

Mais au-delà de son objet précis, la revendication du 1% est aussi à la source du corpus idéologique de la FNCCC. Loin de concerner les seules politiques culturelles nationales, elle sous-tend la nécessité de leur décentralisation et, pour ce faire, la possibilité pour les centres culturels communaux de bénéficier d’aides de l’Etat. C’était également, de manière plus prospective, l’expression du souhait d’une sanctuarisation de la dépense culturelle publique qui vaut également pour les collectivités.

C’est au lendemain du Congrès de Vichy, en mai 1969 – soit un an après Mai 68 et un mois avant la démission d’André Malraux à la suite de la perte du référendum décidé par le Général de Gaulle –, qu’est mis en place un “Comité de liaison du 1%”. Il regroupe 56 organisations et syndicats, avec en particulier la présence de nombreuses structures et associations d’éducation populaire, dont Peuple et Culture, la Fédération Léon Lagrange ou encore la Fédération des centres musicaux ruraux. La FNCCC y sera représentée par Jack Ralite, alors maire-adjoint à la culture d’Aubervilliers. Ce comité porte également une revendication pour le déblocage des crédits gelés du ministère.

Au Congrès de Vichy, mai 1969

Une matrice financière. La question financière est en effet au cœur des premières préoccupations de la Fédération. Après qu’en janvier 1970, le ministre Edmond Michelet ait reçu le Comité de liaison du 1% – il promet alors d’en « étudier la possibilité » –, il rencontre au mois de mars de la même année une délégation de la FNCCC composée de Michel Durafour (Saint-Etienne), Jean-Paul Fuchs (Colmar), Jack Ralite (Aubervilliers) et Gustave Emeric (Mâcon), pour une demande de reconnaissance du sigle “centre culturel” afin qu’ils puissent recevoir des financements de l’Etat. Puis, en novembre, lors d’une conférence de presse à la Maison de l’Amérique latine, Michel Raclot (Longwy) présente une étude inédite sur les finances communales pour la culture intitulée Les Municipalités et la Culture en 1966 ou les Quat’sous de l’Opéra.


1966, déjà la prépondérance des financements communaux

En février 1968, le Credoc publiait une synthèse de l’enquête de la FNCCC, réalisée en 1966 par Michel Raclot, sur l’engagement culturel des municipalités. Déjà alors, malgré la création du ministère des Affaires culturelles et malgré le peu de collectivités ayant alors pris conscience de l’importance des enjeux culturels, la part des Villes dans le soutien public à la culture était supérieure à celle de l’Etat, ce qui justifiait amplement la revendication du 1%. Extraits.

« D’après l’enquête de 1966, le budget culturel de l’ensemble des communes s’est élevé à 436 millions (d’anciens francs), mais comme ce budget s’est accru entre 1963 et 1966 à un rythme de progression très élevé, de l’ordre de 25% par an [!], le montant global qui doit être retenu pour 1965 ressort à 350 millions de francs.

La comparaison de ce montant avec celui du budget du ministère des Affaires culturelles cette même année (343 millions) met en valeur toute l’importance des municipalités dans le domaine de la culture. Cette importance est d’autant plus forte que les actions appréhendées par l’enquête sont typiquement culturelles, en ce sens qu’elles portent uniquement sur le théâtre, la musique, les Beaux-Arts, les bibliothèques et les centres culturels communaux.

Si le budget global varie du simple au double entre les deux catégories extrêmes de communes couvertes par l’enquête, passant de 317F [par habitant] à 648F, la part réservée à la culture dans les budgets augmente également et varie, elle, du simple au quadruple, s’élevant de 1,23% à 4,65%. Or, comme ce pourcentage en constant accroissement porte sur des montants de plus en plus élevés, le budget culturel en valeur absolue varie dans le rapport de 1 à 8 pour les communes urbaines et de 1 à 70 pour l’ensemble des communes. »

Part respective de différentes catégories de communes dans le masse globale de la population, du budget général et du budget culturel : En 1966, les habitants des communes de moins de 5 000 habitants ne bénéficient que de 2% des crédits municipaux en faveur de la culture, contre 60% pour les communes de plus de 100 000 habitants


 

Egalement à l’ordre du jour, un Bilan du Ve Plan et une analyse des perspectives financières du VIe Plan qui couvre la période 1971-1975. En effet, depuis 1946 et à l’initiative du Général de Gaulle et de Jean Monnet, un Commissariat général de modernisation et d’équipement avait été créé ; comme les précédents, le VIe Plan détermine les principales orientations assignées au développement économique et social de la France sur cinq ans, en s’engageant notamment à un « essor de la politique culturelle ».

Les lignes directrices de la FNCCC. Dans son étude Un demi-siècle au service de la culture décentralisée : la FNCC, Pierre Moulinier note qu’alors, soit dix ans après sa fondation, « le conflit entre le ministère et la FNCCC semble dépassé ». A la crispation inaugurale ont succédé des confrontations plus fertiles, au point que les chercheurs qui ont étudié la naissance du ministère « ont fait des années 60 et du débat entre le ministère de la Culture et la FNCCC un moment-clef dans l’“invention des politiques culturelles” ».
Dans le même temps, les différences d’approche entre le ministère et la Fédération ont permis à cette dernière d’élaborer, en miroir avec les politiques culturelles nationales, les principales lignes directrices du corpus idéologique initial de la Fédération. L’historien Philippe Poirrier les analyse comme étant le fruit d’une tension « entre une acception élitiste de la culture et une acception populaire ouverte aux courants issus de l’éducation populaire, entre la prédominance de la volonté centrale et l’expression des pratiques à la base ».

Ecouter. Le centre culturel communal appréhendé comme une “contre-maison de la culture” illustre concrètement un modèle ascendant partant de la réalité des territoires, en opposition avec la vision descendante impulsée par Malraux. C’est là déjà le tournant inscrit dans le Document d’orientation politique de la FNCC, rédigé plus de quarante ans plus tard (2013) ; un texte qui qualifie la démocratisation de la culture de « politique qui donne beaucoup mais écoute peu » et se réfère, deux ans avant son inscription dans la loi NOTRe, à la défense du principe des droits culturels, lesquels prônent, en sus de l’accès à la culture, la participation et la contribution de tous.

Conserver le lien avec l’éducation populaire. La composition même du Comité de liaison du 1% témoigne aussi de cette même volonté d’ancrage populaire, prenant ainsi le contre-pied de ce que beaucoup considèrent comme le pécher originel du ministère : avoir rompu le lien entre politique culturelle et politique socioculturelle en en scindant la responsabilité de l’Etat entre le ministère de la Culture et celui de Jeunesse et Sport, c’est-à-dire entre l’offre culturelle professionnelle et les pratiques citoyennes.

En 1969, le metteur en scène Jean Dasté, fondateur en 1947 de la Comédie de Saint-Etienne, réagit face à des propos d’Edmond Michelet prônant l’augmentation des tarifs des centres culturels. « Les directeurs de centres culturels sont comme moi, ils sont consternés, ils attendent… » (vidéo INA)

Décentralisation et non déconcentration. La revendication du 1% avait également pour objet la mise en œuvre financière d’un processus de décentralisation envisagé en dialogue entre les collectivités et l’Etat, et à rebours ou en complément d’une politique de déconcentration du ministère initiée dès 1969 par la nomination par Malraux de trois directeurs régionaux des affaires culturelles (DRAC). A noter que si cette organisation de l’Etat en région n’aboutira pleinement qu’en 1977 avec un décret officialisant la création des DRAC, elle était en projet dès 1963 avec la mise en place de Comités régionaux des affaires culturelles (CRAC). Ces premiers services déconcentrés avaient déjà pour mission d’élaborer une programmation des travaux et activités du ministère en région (cf. L’Implantation du ministère de la Culture en région, naissance et développement des DRAC, Georges Perrin, Comité d’histoire du ministère de la Culture – 2001).

Transversalité des enjeux culturels. D’autres principes sont d’ores et déjà instaurés. Notamment l’exigence de l’interministérialité dans le soutien à la culture. A l’origine, la Fédération la concevait essentiellement en lien avec l’éducation – autre sujet prégnant pour la FNCCC, puisqu’au 1er Congrès Michel Durafour déclarait : « Les problèmes culturels sont aussi urgents que les problèmes scolaires, dont ils sont les compléments naturels. » Et il formulait une claire revendication d’ordre financier de coordination entre l’Education nationale et le ministère de la Culture afin que « soient appliquées en faveur des organismes culturels les conditions d’attribution des crédits qui régissent les constructions scolaires ».

Par la suite, Jacques Duhamel, nommé ministre de la Culture en 1971, s’inspirera de cette reconnaissance par la FNCCC de la transversalité des enjeux culturels en fondant la notion de “développement culturel”. Dans son bilan des deux ans de Jacques Duhamel à la tête du ministère, Jacques Rigaud, qui a été son directeur de cabinet, décrit cette prise de conscience : « Il devint de plus en plus visible que le développement culturel, en tant qu’il exprime une préoccupation de qualité de vie et une exigence de dignité, concernait l’Etat tout entier. Presque toutes les administrations doivent lui faire une part : de l’esthétique industrielle à l’urbanisme, du développement rural au tourisme, de l’enseignement à l’aménagement du territoire. »

Une telle approche, certes centralisée au niveau des ministères, aboutira à la création du Fonds d’intervention culturel (FIC) qui permettra l’accompagnement d’initiatives portées par les collectivités, ce dont témoigne ces chiffres : « En 1972, les 12 millions du Fonds auront permis la réalisation par huit ministères, sans compter les collectivités locales, de 74 actions représentant, dans 16 régions, 48,8 millions de francs », et ce dans tous les domaines : musique, théâtre, arts plastiques, animations culturelles…

La revendication du 1% du budget de l’Etat pour la culture par la FNCCC aura été la traduction la plus simple et directe – et celle restée la plus célèbre dans l’histoire – de l’intuition première du fondateur de la Fédération : la puissance publique, qu’elle soit territoriale ou nationale, doit faire de la culture un enjeu central dans l’exercice de la responsabilité politique.

Une formule qui résume aussi l’ensemble des principes qui guident jusqu’à aujourd’hui l’engagement de la FNCC : la décentralisation, la transversalité, le renforcement des politiques culturelles locales, le lien avec l’éducation populaire et les milieux associatifs ainsi qu’avec l’Education nationale, l’attention aux initiatives des territoires, le respect des droits culturels ou encore le développement de la culture au bénéfice de la vitalité des territoires.