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Le pas de côté rural

Par 28 septembre 2021octobre 29th, 2021Aucun commentaire

Journées d’Avignon de la FNCC. A l’occasion du 10e anniversaire de la convention qui les lie, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et la FNCC organisaient un débat, le 17 juillet, autour des politiques culturelles rurales. Un débat marqué par l’une des spécificités des communes rurales : l’action culturelle y est le plus souvent directement portée par les maires, ici par Yvan Lubraneski, maire des Molières (Essonne), Jessie Orvain, maire d’Isigny-le-Buat (Manche), Yves Dumoulin, maire de Fareins (Ain) et Fanny Lacroix, maire de Châtel-en-Trièves (Isère) – aux côtés d’Yves Lecoq, maire-adjoint à Arbois (Jura). Objectif de la rencontre : mettre en valeur les initiatives culturelles des communes rurales et dégager des pistes de travail communes pour l’AMRF et la FNCC. Résultat de la rencontre : l’identification de quelques nouvelles coordonnées pour l’action politique culturelle. Echos.

La conclusion apportée au débat par le président de la FNCC était aussi à la source de la thématique choisie, “Vers un nouvel essor des politiques culturelles rurales”, avec cette nuance : l’action des élu.e.s ruraux peut contribuer à un nouvel essor des politiques culturelles en général. Frédéric Hocquard : « Quand on tente un pas de côté, on voit les choses de manière différente. C’est ce que nous apporte le dialogue avec l’AMRF : avec vous, nous parvenons à modifier notre appréhension des problématiques culturelles. »

L’esprit des colonies de vacances. Et en effet, une problématique très particulière, a priori assez éloignée des considérations habituelles sur les enjeux culturels et paradoxalement soulevée par une élue d’une commune francilienne, donc très fortement urbanisée – May Bouhada, maire-adjointe à Fontenay-sous-Bois –, a illustré l’esprit général des propos tenus lors de cette rencontre : « Il serait intéressant d’initier une politique autour des colonies de vacances pour contribuer à sortir les enfants de leurs quartiers. »

La crise sanitaire a de fait souligné et accentué l’enfermement des jeunes dans les quartiers des banlieues, et rappelé la pratique aujourd’hui désuète, des colonies de vacances. En quoi serait-ce là un enjeu culturel ? En ce que les colonies de vacances posent la question des rapports entre territoires urbains et ruraux, soulèvent celle de la pertinence d’une approche transversale de la culture (sport, santé, social, culture), et celle encore de l’importance du tissu associatif, notamment celui de l’éducation populaire. Autres dimensions potentiellement culturelles des colonies de vacances, l’aménagement du territoire, le rôle des intercommunalités et, plus largement, de la coopération territoriale ainsi que la charge, qui est en même temps un atout, du patrimoine foncier et historique dont disposent les territoires ruraux, etc.

L’a priori est en effet persistant : le spectacle pour la ville, le décor pour les campagnes… C’est en s’appuyant sur le patrimoine qu’on peut arriver à développer d’autres formes artistiques, à sortir des clichés pour bâtir des itinéraires culturels. Yvan Lubraneski

Nous considérons l’EPCI comme une coopérative de communes mise au service de chacune d’elles et non agissant au-dessus d’elles. Jessie Orvain

« La crise sanitaire nous rappelle d’anciennes solutions, depuis abandonnées », reconnaît Yves Lecoq. La disparition des colonies de vacances relève d’un phénomène national. « Restent les bâtiments, vides. Que fait-on de ces friches ? Voilà une importante problématique d’aménagement du territoire », s’interroge depuis l’auditoire Fanny Lacroix. « Le sujet est d’importance. Une reconversion est réellement à travailler. Peut-être même y a-t-il là une interpellation à faire… », s’interroge Frédéric Hocquard. Pour sa part, faisant le lien avec le patrimoine, Yves Dumoulin évoque le projet qu’il porte en tant que maire mais aussi que vice-président en charge de la culture (et de l’économie) de l’intercommunalité, de transformer un château, anciennement lieu d’accueil de colonies de vacances parisiennes, en centre culturel européen pour enfants.

EPCI : ni maison-mère ni instance gestionnaire. Ce n’est pas incidemment que le maire de Fareins s’exprime aussi au nom de l’intercommunalité Dombes Saône Vallée car, dans la mesure où les communes rurales n’ont le plus souvent pas de délégation culture dédiée ni de services culturels en propre, le rôle culturel des EPCI s’avère décisif, et ce d’autant plus que les élu.e.s communautaires qui en portent la charge sont aussi maires de leur commune.

La question de l’intercommunalité culturelle est ici donc primordiale. Jessie Orvain en rappelle rapidement, en creux, quelques écueils : « Pour une intercommunalité, je crois beaucoup au fait de travailler au service de et non à la place de. » Pour Fanny Lacroix, la question est également très politique. Certes, l’importance des moyens des EPCI génère « la crainte pour les communes de perdre leur souveraineté culturelle au sens large : les fêtes, l’éducation aussi ». De plus, « les EPCI deviennent souvent des lieux de confrontation, avec la prise en otage de certains sujets, dont celui de la culture ». Sans compter qu’avec les dernières réformes territoriales, leurs périmètres ne correspondent pas forcément à une réelle attente. Pour autant, faut-il réduire l’intercommunalité à des fonctions purement gestionnaires ? Non. Mais pour exercer quel rôle ?

Les réponses convergent pour confier aux intercommunalités une fonction certes politique – « il est essentiel que l’élu.e garde une place importante, notamment vis-à-vis des fonctionnaires » (Yves Dumoulin) – mais respectueuse des municipalités qu’elles regroupent. « Nous considérons l’EPCI comme une coopérative de communes mise au service de chacune d’elles et non agissant au-dessus d’elles », déclare la vice-présidente de la communauté d’agglomération Mont Saint-Michel Normandie. « L’intercommunalité ne doit pas être la “maison-mère” dont les communes seraient les filiales, mais bien l’inverse, pour favoriser les mutualisations », renchérit le vice-président en charge de la culture et de l’économie de la communauté de communes Dombes Saône Vallée.
Et les exemples suivent : mise en place d’une scène rurale de territoire avec une convention sur la mobilité signée avec la DRAC ici, soutien financier pour l’amélioration des salles de spectacles communales là, mise à disposition de tribunes mobiles ou encore du matériel pour un cinéma itinérant ailleurs, etc. Donc à la fois une fonction portant un réel projet politique, mais cependant subsidiaire à celle des communes.

Il faut faire passer aux artistes le message qu’ils doivent se mettre à la portée des territoires ruraux, notamment quant aux tarifs de leurs spectacles et à leurs fiches techniques.. Yves Dumoulin

Il y a un énorme travail à faire pour relégitimer l’éducation populaire dont les structures existent toujours. Il faut construire des projets communs entre collectivités et soutenir leurs acteurs, lâchés par le ministère de la Culture. Yves Lecoq

“Le spectacle pour la ville, le décor pour les campagnes” ? De la salle, la maire-adjointe à la culture d’Aubervilliers, Princesse Granvorka, a ouvert le débat par la réflexion suivante : « En territoire rural, on a tendance à considérer la valorisation culturelle essentiellement au travers du patrimoine… » Ce dont a convenu Yves Lecoq tant la richesse patrimoniale d’Arbois et des communes de son intercommunalité – Salins-les-Bains, Poligny – est grande. « Il est dès lors très difficile de développer le spectacle vivant. » Pour Yvan Lubraneski s’exprimant au nom de l’AMRF, il s’agit non seulement d’une réalité rurale mais aussi d’un phantasme urbain : « L’a priori est en effet persistant : le spectacle pour la ville, le décor pour les campagnes… C’est en s’appuyant sur le patrimoine qu’on peut arriver à développer d’autres formes artistiques, à sortir des clichés pour bâtir des itinéraires culturels », notamment via un travail sur le mixte patrimoine-paysages/culture, sur la voie des “Itinéraires culturels européens”. De manière plus large, il importe de se poser la question d’où commence le rural et où finit l’urbain.

Le président de la FNCC note pour sa part que si l’offre de spectacle vivant constitue une difficulté pour les territoires ruraux, « en elle-même cette relative rareté constitue une force pour repenser les choses différemment. Nous devons cheminer ensemble pour faire évoluer les politiques culturelles publiques et inventer de nouveaux paradigmes », en particulier en modifiant le curseur entre l’offre (pléthorique en territoires urbains) et la demande. Donc travailler davantage sur les propositions que sur l’accès.

Transversalité et décloisonnement. Multiplier l’offre culturelle suppose une pleine conscience politique de l’importance de la culture tant pour l’attractivité des territoires que pour le bien-être de celles et ceux qui l’habitent. « Cela exige que les élu.e.s aient identifiée la culture comme une dimension prioritaire. Et aussi de sensibiliser l’ensemble du conseil municipal, dans un esprit de décloisonnement et de l’objectif de déployer une citoyenneté pleine et entière, laquelle passe aussi par l’accès à la culture », note Yvan Lubraneski.

Sur cette voie, l’un des moyens permettant à la fois d’intéresser les élu.e.s au-delà des seuls militants convaincus pour la culture et de tirer parti des ressources propres des territoires ruraux en associant à la fois les communes et leurs EPCI est d’associer à la culture à d’autres enjeux qui ne sont pas proprement culturels. Dans cet esprit, Yves Dumoulin fait part de son projet d’un événement autour de 50 ans de chansons évoquant les questions du climat, car « les artistes sont bien souvent des précurseurs », ou encore de celui de réhabilitation d’une ancienne maison éclusière pour créer un lien entre patrimoine, tourisme et culture. Pour sa part, Jessie Orvain évoque son travail avec le Plan alimentaire territorial, c’est-à-dire avec le ministère de l’Agriculture, pour « mettre la culture au service d’autre chose qu’elle-même ». Et Yves Lecoq un recours à l’art « à des fins de médiation environnementale, via des rencontres organisées entre artistes et scientifiques pour construire des actions en direction des jeunes autour d’un objet artistique monumental ». Le décloisonnement est essentiel, conclut Yvan Lubraneski.

Elargissant le propos, le directeur de l’AMRF, Cédric Szabo, renverse l’ordre habituel de la réflexion sur les territoires ruraux considérant ces derniers comme étant en état de manque de culture et non comme l’une de ses sources : « La question d’un nouvel essor de la culture en territoire rural passe aussi par la problématique de la contribution de la ruralité à la culture du pays. »

Une culture de la concertation… Quelles que soient les voies mettant en valeur les richesses culturelles des territoires ruraux, les manières de convaincre les élu.e.s de les promouvoir et d’amener les habitants à s’en saisir, une politique culturelle ne prend corps qu’au travers d’une action collective : entre collectivités (d’où le rôle central des EPCI), entre les collectivités et l’Etat, entre les élu.e.s et les associations, les artistes et les habitants. Citant l’épisode difficile du soutien de l’Etat aux festivals lors de la période de déconfinement et l’engagement de la FNCC pour réclamer la prise en compte des “petits festivals”, au nom de la défense de la diversité culturelle, Frédéric Hocquard souligne que « le débat sur la coopération culturelle territoriale, qui concerne l’ensemble des collectivités, se pose en effet avec une acuité particulière pour les territoires ruraux ».

… avec les associations… Pour la directrice générale de l’Ufisc, Patricia Coler, qui s’est exprimée au nom des 340 000 associations culturelles dont bon nombre œuvrent en territoire rural, les questions suivantes sont essentielles : « Comment met-on en place des espaces de dialogue entre les collectivités, les associations, les citoyens ? Comment accompagner les projets, quelles possibilités pour développer les ingénieries nécessaires ? Comment s’échapper du carcan des appels à projets ? »

Nous devons cheminer ensemble pour faire évoluer les politiques culturelles publiques et inventer de nouveaux paradigmes. Quand on tente un pas de côté, on voit les choses de manière différente. C’est ce que nous apporte le dialogue avec l’AMRF : avec vous, nous sommes incités à affiner notre appréhension des problématiques culturelles. Frédéric Hocquard

L’insistance sur la fonction primordiale des associations résonne aussitôt chez les intervenants. Jessie Orvain : « Le rôle des associations est fondamental, notamment pour la mutualisation entre communes. Chez nous, l’intercommunalité propose une billetterie commune aux municipalités et aux associations. Il est d’ailleurs intéressant de travailler avec le Fonds de développement de la vie associative (FDRA). » Yves Lecoq : « Il y a un énorme travail à faire pour relégitimer l’éducation populaire (associatif) dont les structures existent toujours. Il faut construire des projets communs entre collectivités et soutenir leurs acteurs, lâchés par le ministère de la Culture. »

… avec les artistes… Yves Dumoulin insiste aussi sur la nécessaire concertation avec les artistes, qui parfois n’ont pas suffisamment conscience de la spécificité des territoires ruraux. « Il  faut leur faire passer le message qu’ils doivent se mettre à la portée des territoires ruraux, notamment quant aux tarifs de leurs spectacles et à leurs fiches techniques. »

… avec l’Etat : une “brèche” est ouverte. Yvan Lubraneski rappelle la propension gouvernementale à imposer le principe, particulièrement inadéquat en territoire rural, de l’appel à projets (« aujourd’hui, les collectivités rurales s’arrachent les cheveux pour y répondre ») et reconnaît « qu’il y a beaucoup de travail quant à la vision des territoires ruraux par le ministère – une perception à éduquer –, ce dont a témoigné sa gestion du déconfinement des festivals ». Pour autant, la crise a créé une situation particulière en imposant « l’aller-retour entre le national et le local ». « Comment redessiner le cadre de l’engagement culturel des communes rurales ? Aujourd’hui, une brèche est ouverte. On sent une possibilité de redéfinir, avec le ministère de la Culture, nos cadres d’action et de fournir aux collectivités des ressources culturelles pour imaginer de nouveaux dispositifs, de nouveaux compagnonnages. »

Une feuille de route pour l’alliance AMRF/FNCC. D’où de nouvelles perspectives pour développer la convention entre l’association des maires ruraux et la FNCC :

  • susciter des espaces pour favoriser la rencontre entre les acteurs de la culture et les élu.e.s au travers d’événements départementaux fédérateurs (« si nous arrivions à en organiser un dizaine en 2022, ce serait déjà formidable ! »),
  • développer la réflexion sur l’enjeu de la mobilité en lien avec les scènes porteuses d’une mission de rayonnement, pour les amener dans les territoires ruraux,
  • davantage se concerter en amont des réunions du Conseil national des territoires pour la culture (CNTC) et des Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) pour identifier des positions convergentes,
  • élaborer un “annuaire des bonnes pratiques”…

La culture de la fête. Enfin, cette dernière ouverture d’ordre philosophique, qui mériterait également un travail en commun de long terme : lors de la crise sanitaire et pour réclamer des protocoles précis de reprise des activités culturelles adaptés aux territoires ruraux, la FNCC a signé un communiqué commun avec l’AMRF, l’APVF et la Fédération nationale des comités et organisateurs de festivités. « Ce qui pose la question : quelle culture ? », note le maire des Molières. Qui précise sa pensée : « Pour l’Etat, une fête n’est pas un événement culturel. Or ça en est un. »