La cour d’appel de Bordeaux a été saisie en juin 2006 d’une plainte contre des caquètements dans la commune rurale de Saint-Michel-de-Rivière jugés intempestifs. En 2008, c’est celle de Lyon qui refuse de faire cesser le chant d’un coq au motif d’un trouble de voisinage… Face à ces actions en justice, le député (UDI, indépendants) de Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier a déposé à l’Assemblée nationale, le 11 septembre, une proposition de loi “visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises”.
Le sujet de la proposition de loi pourrait prêter à sourire… L’exposé des motifs débute par ces mots évocateurs de la vie champêtre : « Chant du coq, tintement des cloches, braiement de l’âne, odeur du fumier ou des poulaillers, coassements de batraciens : autant de bruits et d’effluves qui font partie intégrante de la vie rurale. » Suit juste après en quoi ces éléments méritent que la législation s’en saisisse. « Des actions en justice sont souvent intentées par des vacanciers ou des “néoruraux”, qui ne supportent pas ce genre de nuisances. Celles-ci sont habituellement envisagées par le biais des troubles anormaux de voisinage. » Ainsi est régulièrement menacé le “patrimoine sensoriel” des campagnes françaises.
Le “patrimoine sensoriel”. Avec la notion de “patrimoine sensoriel”, le député de Lozère invente un nouvel élément du patrimoine immatériel. Il s’impose de lui-même, indépendamment du destin de sa proposition de loi. Car c’est un fait : quand on traverse les campagnes, on entend, on sent des bruits et des odeurs qui ont une valeur culturelle en ce qu’ils signifient le lieu, qu’ils lui donnent forme et qu’ils l’ancrent dans une histoire.
Le moment choisi pour introduire cette nouvelle catégorie de patrimoine est propice. L’opinion s’est récemment alertée de la disparition de 30% des oiseaux sauvages des campagnes françaises. C’est là une disparition impressionnante de “patrimoine sensoriel”. Ici, le problème n’est pas législatif mais proprement politique.
En revanche, protéger le chant du coq contre des actions en justice engagées au titre du “trouble anormal de voisinage” relève bien de la loi, le motif invoqué faisant partie des délits répertoriés. « Cette notion a été progressivement construite par la Cour de cassation, depuis un arrêt fondateur du 27 novembre 1844 marqué par la volonté de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger les voisins de bruits insupportables provenant d’une usine, et celle de permettre aux industries de développer leur activité. » Par son origine, le trouble anormal de voisinage procède donc d’une activité humaine et essentiellement urbaine, qu’elle soit intentionnelle ou non : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »
Mais qu’en est-il dans un territoire où se pratiquent depuis toujours des activités agricoles, par exemple l’élevage de volailles ? Il n’y a pas là intention mais mode de vie. C’est le son de la ruralité. Or des actions en justice sont régulièrement et de plus en plus souvent intentées. Certes, elles sont très généralement rejetées ; pour autant, la justice ne dispose pas d’éléments fiables pour traiter les plaintes contre ces éléments de la vie rurale, d’où l’idée de les élever à la dimension patrimoniale, avec les protections qui vont avec. En somme, le député constate un vide juridique auquel il souhaite remédier.
Au-delà de l’Unesco. Il remarque en premier lieu que ne figurent dans le patrimoine culturel immatériel tel que défini par l’Unesco que des productions humaines : « On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes, et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. » Entrent dans cette catégorie patrimoniale les traditions et expressions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, les rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers, les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel… Mais non le chant du coq.
Analyse du député : « Les éléments classés au sein du patrimoine culturel immatériel supposent toujours une activité humaine. » Et conclusion : « Les bruits de la campagne, qui sont pour l’essentiel des bruits d’animaux, ne peuvent donc pas être classés au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. » D’où la nécessité, à ses yeux, d’enrichir le contenu du patrimoine immatériel protégé par le “patrimoine sensoriel”.
Les articles de la proposition de loi. Ainsi, la proposition de loi entend :
- créer dans le code du patrimoine une nouvelle catégorie de patrimoine : le “patrimoine sensoriel des campagnes”,
- prévoir que « les émissions sonores et olfactives des espaces et milieux naturels » puissent faire l’objet d’une inscription au titre du patrimoine sensoriel des campagnes,
- prévoir qu’une commission départementale – établie sur le modèle de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture – soit consultée lors de l’inscription,
- prévoir que les nuisances sonores et olfactives relevant des émissions sonores et olfactives inscrites ne puissent être considérées comme des troubles anormaux de voisinage.
« Ainsi reconnu, le patrimoine sensoriel de nos campagnes pourra être protégé. Tel est le but de la présente proposition de loi. »
L’apport culturel de la nature. Une vaste étude de l’ONU, menée entre 2001 et 2005, avait mis en évidence les “services rendus par les écosystèmes”, notamment leurs services culturels (cf. la Lettre d’Echanges n°162). Sans la citer, la proposition de loi va dans le même sens en soulignant l’aspect patrimonial des sons et des odeurs des campagnes françaises produits hors de toute intentionnalité humaine. Déjà, les experts mandatés par l’ONU relevaient que de fortes atteintes à la biodiversité menaçaient le patrimoine culturel naturel. Aujourd’hui, alors que la conscience écologique n’a jamais été si vive, l’initiative du député de la Lozère prend une résonance bien plus forte. Et la culture humaine se retrouve agrandie et enrichie de celle que nous offre la nature.
Victoire d’un coq
Des propriétaires d’une résidence secondaire à Saint-Pierre d’Oléron avait porté plainte contre un coq au motif que son chant troublait leur sommeil. La plainte a été rejetée le 4 septembre 2019 par le tribunal d’instance de Rochefort.
Relatant cette victoire, le site Localtis (5/09) souligne cependant que « d’autres jugements ont été rendus dans un sens favorable aux plaignants, notamment dans des affaires de mares aux grenouilles ou de sonneries de cloches ».