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Portrait culturel de Falaise

Par 15 mars 2023mars 17th, 2023Aucun commentaire

Cécile Le Vaguerèse-Marie, maire-adjointe à la politique culturelles de Falaise

Ville de naissance de Guillaume Le Conquérant mais aussi ville rasée à 80% lors du débarquement, Falaise (8 000 habitants) a une lourde et dense histoire qu’incarne notamment son célèbre château médiéval et un habitat, reconstruit après-guerre, qui nécessite d’importants travaux de réhabilitation pour l’adapter aux exigences du mode de vie contemporain. Riche de nombreuses ressources culturelles, fruit d’une succession de municipalités attentives au développement économique et touristique, c’est à l’attention de ses habitants, à leurs attentes et à leur rythme de vie que s’attelle la nouvelle équipe arrivée aux responsabilités lors des élections de 2020. Cécile Le Vaguerèse-Marie, maire-adjointe à la politique culturelle, décrit les principaux enjeux de son mandat.

Quelles sont les motivations qui vous ont amenée à vous engager en politique ?

Venue du privé, j’ai commencé à travailler dans la culture dès les années 90, plus particulièrement dans le secteur du spectacle vivant. J’avais alors rencontré des élus du Calvados qui avaient mis en place une véritable politique culturelle et imaginé un projet structurant, notamment autour d’un grand théâtre – le Forum. Par la suite, après un master en développement culturel à Rouen, j’ai accepté un poste à La Souterraine, dans la Creuse, pour une communauté de communes, où j’ai ouvert un lieu en régie directe. Consciente que les habitants ne se rendraient peut-être pas spontanément dans ce lieu, j’ai organisé des spectacles dans les petites communes aux alentours pour aller au plus proche des habitants de l’EPCI.

J’ai ensuite été embauchée par la communauté de communes Porte Océane du Limousin, près d’Angoulême, en tant que directrice d’un pôle à vocation culturelle – La Mégisserie – que l’on inaugurait sous le statut d’EPCC. Là encore, j’ai construit une saison dans les communes rurales. Un principe que je pratique toujours en tant qu’élue, notamment dans le cadre de la mise en œuvre des droits culturels.

Enfin, après douze années de travail en territoire rural, j’ai dirigé la scène conventionnée de Choisy-le-Roi, en Ile-de-France et mis en place un conventionnement autour de la diversité des langues et modes d’expression, incluant des traductions, sous-titrages et spectacles en version bilingue ou trilingue… Le Val-de-Marne est véritablement un pays d’accueil de réfugiés venus du monde entier. D’où une fréquentation incroyable, qui perdure encore.

Enfin, j’ai été nommée début 2021, directrice de l’Onda – l’Office national de diffusion artistique.

Politiquement, c’est alors que l’on m’a proposé de m’intégrer à une liste électorale à Falaise. Au départ, cette liste semblait avoir bien peu de chances de l’emporter, car la municipalité n’avait pas changé depuis pratiquement après-guerre. Mais nous avons été élus et je suis revenue m’installer à Falaise. Un an plus tard, je quittais l’Onda pour me consacrer pleinement à mon mandat.

Le Château de Falaise

N’est-ce pas compliqué de passer de l’action professionnelle à la responsabilité d’une délégation municipale à la culture ?

Après tant d’années passées dans le milieu professionnel du spectacle vivant, il est plutôt passionnant de se retrouver dans cet autre domaine de la gestion culturelle qu’est celui des élus. Le maire m’a tout naturellement proposé la culture, en me donnant les moyens de constituer une équipe et un projet. J’ai ainsi le privilège d’être accompagnée par un adjoint au patrimoine et une adjointe à l’animation – ce qui montre bien qu’à Falaise, ville de moins de 8 000 habitants, la politique culturelle n’est pas un vain mot.

Quels sont les atouts culturels de votre commune ?

La densité des équipements, le patrimoine, les volontés locales témoignent déjà de l’importance donnée à la culture dans notre ville, à quoi nous apportons une pluralité de nouveaux projets dans notre programme municipal. Ainsi, la décision de professionnaliser la salle Le Forum (théâtre de Falaise), de manière à rendre autonome le calendrier des spectacles, représente en soi un premier pas vers une émulation culturelle ambitieuse. Notre équipe s’attache par ailleurs à la mise en œuvre d’une politique volontariste en faveur des arts visuels plus particulièrement en faveur des arts numériques, notamment développée dans le château de La Fresnaye, un magnifique bâtiment du 17e siècle entouré d’un parc aux arbres centenaires, en plein cœur de la ville, et qui tient lieu aujourd’hui d’espace d’exposition et de lieu de résidence d’artistes et de recherche.

La micro-folie au Pôle muséal

Vos principaux objectifs à terme ?

D’une part, faire revivre un Pôle muséal où nous avons installé une micro-folie depuis quelques semaines et, d’autre part, l’écriture d’un projet pour le cinéma, géré par une association dynamique ; d’où ma participation aux formations sur le 7e art proposées par la FNCC, à la suite desquelles j’ai notamment pris contact avec l’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) auprès de qui notre salle est adhérente. Enfin, nous sommes en train d’effectuer d’importants travaux d’aménagement du Centre de développement chorégraphique national (CDCN), lieu labellisé. Comme vous le voyez, notre petite ville dispose d’une grande densité d’outils culturels, encore perfectibles. En cela, je ne peux que rendre hommage à l’engagement des équipes municipales qui se sont succédé à Falaise depuis plus de 30 ans.

Comment décririez-vous votre territoire ?

Falaise a une histoire très ancienne. C’est le berceau de Guillaume Le Conquérant, le lieu où il est né. Le château médiéval constitue d’ailleurs un attrait touristique sur lequel les équipes précédentes ont réalisé un travail conséquent qu’on ne peut que saluer. Au 10e siècle, la place était une enceinte fortifiée qui abritait la dynastie anglo-normande de Richard III. Il n’en restait que des vestiges à la fin du 20e siècle, lorsque le château a été reconstruit et personnalisé sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques Bruno Decaris. Ce dernier a effectué un travail de recherche approfondie à partir duquel il a pu élaborer un projet contemporain, fortement décrié à l’époque (c’était il y a une trentaine d’années). Le site est aujourd’hui très fréquenté, avec plus de 80 000 entrées par an. Une scénographie virtuelle accompagne le visiteur et enseigne aux plus jeunes l’histoire de Guillaume Le Conquérant.

L’histoire récente de Falaise est plus malheureuse. Les bombardements qui ont suivi le débarquement du 6 juin 1944 ont rasé la ville à près de 80%. Falaise, toujours associée aux événements commémoratifs du débarquement – d’importantes batailles s’y sont déroulées comme celle de la tristement célèbre Poche de Falaise –, reste encore aujourd’hui fortement impactée par ce double héritage et tout particulièrement par celui de la Seconde Guerre mondiale. Cette souvenance demeure vive. Un mémorial des civils en lien avec celui de Caen jouxte le château de Guillaume.

Festival d’arts de la rue Les Faltaisies, spectacle « A fuego lento » par la Cie Bilbobasso

Et d’un point de vue démographique ?

Comme toutes les communes qui ont vécu la reconstruction, les immeubles d’alors sont aujourd’hui vétustes, mal isolés et avec peu de confort. Ils n’attirent ni les acheteurs ni les bailleurs. La ville elle-même s’est donc en partie dépeuplée – selon le dernier recensement, quelque 600 logements vétustes sont vacants –, alors que la recherche en immobilier est forte, au bénéfice du territoire de la communauté de communes qui, elle, est en plein essor démographique. Nous avons donc entrepris une politique de l’habitat, en lien avec des organismes régionaux, qui commence à produire ses effets.

Quel rôle joue la culture dans la politique locale du Calvados ?

Après trois ans de mandat, je constate un fort développement de la dimension touristique, notamment avec le château médiéval. Les municipalités précédentes portaient une vision fortement économique, d’ailleurs pleinement légitime. En revanche, il y a une sorte de désamour pour la fréquentation de ce château par les habitants de Falaise. Il existe au mois d’août un grand festival médiéval qui, depuis un an, a pris une tournure plus fantastique, visant à répondre au goût prononcé d’un public local et touristique en demande de sensations. Tourné exclusivement vers le tourisme, le château n’est pas un lieu de culture, au sens noble, pour ses habitants. A part le CDCN, il manque la ressource pour une politique d’éducation artistique et culturelle, et ce alors même que nos activités de diffusions sont très importantes.

Enfin, la proximité avec Caen (à un peu plus d’un quart d’heure par la quatre voies) absorbe pour une grande part le besoin de culture des Falaisiens. Une grande partie de la population travaille à Caen ou à Argentan, également proche, sans réellement vivre à Falaise, d’où un petit côté ville résidentielle et dortoir, et ce malgré de très nombreuses associations locales sportives et culturelles qu’il est nécessaire de mieux accompagner dans leur communication. C’est pourquoi nous mettons en place dès cette année une application dans ce sens.

Par ailleurs, je ressens parfois une sorte d’auto-centrage comme si, de manière historique, les remparts de notre jolie ville (qui servaient autrefois à nous protéger) nous empêchaient de travailler avec les autres villes… J’éprouve profondément la nécessité de travailler davantage en réseau, avec d’autres communes, comme par exemple avec les Franciscaines à Deauville ou les Médiévales à Bayeux. La Normandie reste une région particulière, on pourrait dire féodale, ce qui finira bien par s’estomper avec l’arrivée des plus jeunes générations.

Quels principes guident votre action ?

Les principes de la participation et de la promotion de l’économie sociale et solidaire font partie de notre programme électoral. Avec la conviction que ce n’est pas aux élus de faire les choses mais aux associations et aux habitants. En tant que municipalité, notre rôle est de donner un axe, une direction et d’accompagner les initiatives.

Et les droits culturels ? Un principe auquel les professionnels sont souvent réticents…

En effet. Quand j’étais co-présidente du SNSP, je n’avais pas véritablement travaillé cette question et, pour tout dire, pas réellement identifié en quoi consistaient les droits culturels ni saisi que cela ne concerne pas seulement la culture au sens artistique du terme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, les droits culturels ne relèvent pas de « la culture pour tous ».

Je travaille actuellement à la conception d’une stratégie pour introduire cette question au sein de l’équipe municipale – le maire est très à l’écoute de mes propositions, ainsi que les autres élus – en lien notamment avec Patricia Andriot, une élue d’une petite communauté de communes du plateau de Langres qui travaille à l’Agence nationale de cohésion des territoires. Mme Andriot intervient souvent auprès des élus en ce qui concerne les droits culturels et l’économie sociale et solidaire. Je compte d’ailleurs organiser une journée complète sur ces thématiques, une sorte de séminaire pour tous les élus à la culture de la région, en faisant intervenir des personnes de compétence comme elle. Une initiative qui se voudra ouverte, car il faut songer rapidement à partager ce droit fondamental qui consiste à faire respecter l’individu dans sa grande diversité sur un plan international.

Une priorité ?

Oui : le projet de Pôle muséal, conçu comme un tiers-lieu culturel qui regrouperait plusieurs activités. Je suis en train de repérer les forces vives du territoire, associations ou encore jeunes retraités (ils ont un admirable pouvoir d’action), pour constituer un petit groupe d’une dizaine de personnes dont le rôle sera d’être une force de propositions. Comment fait-on participer les gens ? Comment crée-t-on de l’envie ?

Les principes de la participation et de la promotion de l’économie sociale et solidaire font partie de notre programme électoral. Avec la conviction que ce n’est pas aux élus de faire les choses mais aux associations et aux habitants. En tant que municipalité, notre rôle est de donner un axe, une direction et d’accompagner les initiatives.

On constate un déficit de fréquentation des lieux culturels. Il faut absolument travailler à la question du collectif sans pour autant tomber dans une offre “facile” ou, pire, dans le populisme. Je suis convaincue qu’on peut construire un projet de qualité porté de manière participative, avec les associations, avec les habitants – ce qui d’ailleurs relève de mes ambitions de toujours, même si je regrette de n’avoir pas eu l’occasion de les concrétiser auparavant…

Quelles sont vos principales difficultés ?

La première est qu’il faut changer de paradigme, qu’il faut s’adapter aux nouvelles manières de vivre. Les habitudes ont tellement changé depuis plusieurs années… La pandémie et le développement du numérique ont bouleversé nos manières de nous cultiver, notamment pour celles et ceux, fort nombreux, qui travaillent hors de la ville, à Paris, à Caen ou ailleurs. La culture n’est pas exclue de ces changements. Elle doit pouvoir être en phase avec les nouveaux rythmes de vie, avec les situations nouvelles. Par exemple, avec le rapport au travail, à la famille, non d’un point de vue sociologique mais au regard du temps, de la temporalité de la culture dans nos vies.

Pour quelles raisons les lieux culturels sont-ils trop peu fréquentés ? Cela ne tient pas qu’à la nature de l’offre, mais aussi à la façon dont elle peut s’insérer dans les agendas, dans les emplois du temps. D’où l’un des objectifs du tiers-lieu : proposer un endroit où l’on peut travailler, attendre une heure ou deux, avant d’aller voir une séance de cinéma ou un spectacle. Ce n’est pas le public qui doit s’adapter au fonctionnement des lieux mais l’inverse.

Quels rapports la commune de Falaise entretient-elle avec l’intercommunalité ?

Je suis vice-présidente de la commission culture. C’est assez compliqué, avec une division entre une grande part de communes rurales et une autre davantage néorurale, proche de Caen. J’en ai fait l’expérience dans la Creuse et en Haute-Vienne : les tensions sont souvent fortes entre la ville principale – ici Falaise –, qui porte toutes les infrastructures, et les autres communes. Mais le temps, là aussi, fait son œuvre. L’équipe municipale, par son écoute, ses actes et sa forte présence sur le territoire, démontre tous les jours son implication auprès de la population dans l’intérêt général.

Festival d’arts de la rue Les Faltaisies, spectacle de la Cie Oneshot

Qu’en attendez-vous de la FNCC ?

D’un point de vue local, pour que la FNCC devienne une force vive en Normandie, il faudrait nous réunir plus souvent afin de mieux nous connaître et consolider un réseau en allant chercher d’autres élu.e.s, notamment dans le but de nous affirmer au sein du Conseil local des territoires pour la culture. Cette fédération d’élus, importante au plan national, doit être une réelle instance de propositions collaboratives et constructives sur notre territoire.

Propos recueillis par Vincent Rouillon


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