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Cour des comptes : 40 ans de décentralisation inachevée

Par 14 mars 2023mars 20th, 2023Aucun commentaire

Quarante ans de décentralisation…, succès ou échec ? Telle est la principale focale du Rapport annuel 2023 de la Cour des comptes. Avec un constat assez critique illustré notamment par les politiques de soutien public aux festivals : si les principes sont partagés et les objectifs identifiés, le contrôle, l’évaluation et l’exigence de bonne gouvernance restent insuffisamment coordonnés entre les collectivités et avec l’Etat.

La Cour des comptes veut apporter une analyse précise des avantages et inconvénients de la décentralisation à la française sur la qualité et l’efficacité des services rendus sur le terrain par une action publique partagée entre l’Etat et les collectivités territoriales.

Cet objectif de la décentralisation n’est manifestement pas pleinement atteint. « Les compétences sont de plus en plus intriquées, le plus souvent exercées par plusieurs niveaux différents de collectivités ; l’organisation de l’Etat reste en décalage avec le maillage territorial ; la diminution des effectifs, qui a plus pesé sur ses services déconcentrés que sur les administrations centrales des ministères, a été ressentie par la population comme un désengagement et parfois même un abandon. »

Appauvrissement des collectivités. Dans le même temps, la complexification des modalités croisés du financement des collectivités « le rend ce peu compréhensible, tant pour les responsables locaux que pour les contribuables, et inégalitaire entre les territoires ». Sans compter que, malgré la montée en puissance des intercommunalités, l’élargissement des compétences des collectivités, tout particulièrement celles des communes, s’est traduit par la multiplication par deux des dépenses locales.

Malgré la protection financière de l’Etat, les ressources dont disposent les collectivités (dotations de l’Etat, parts d’impôts nationaux, éléments de fiscalité et redevances locales) aboutissent à « une construction de plus en plus complexe, qui rend ce financement peu compréhensible » et fortement contraint, car « l’autonomie de décision des élus locaux sur l’évolution de leurs recettes s’est réduite ».

Le cas des festivals. Dans son attention aux compétences “partagées” – point nodal pour juger d’une décentralisation harmonieuse et opérante –, la Cour des comptes s’attarde sur une réalité culturelle essentielle pour le développement local et l’attractivité des territoires, et rendue particulièrement sensible par la crise sanitaire : les festivals.

S’appuyant sur une étude de huit grands festivals, le rapport relève la confusion des rôles. Sans remettre en cause la politique de réengagement de l’Etat en faveur des festivals opérée à l’occasion de la pandémie de Covid à la suite des Etats généraux des festivals (2020), les magistrats plaident pour un contrôle plus rigoureux des festivals soutenus par la puissance publique, Etat comme collectivités, dans leur contribution aux grands objectifs des politiques culturelles : le soutien à la création artistique et à la démocratisation culturelle.

Sachant que les collectivités portent avec force les festivals (en 20 ans, leur nombre est passé de 2 000 à 7 000) et que le soutien de l’Etat « reste mineur par rapport à celui que leur apportent les collectivités territoriales », la Cour des comptes estime que le ministère de la Culture doit concentrer ses moyens sur quelques festivals à rayonnement national et international en faisant prévaloir des principes de bonne gouvernance (pas toujours respectés), en veillant à la formalisation des projets culturels (souvent approximative) et en se montrant exigeant sur l’évaluation des résultats de leur action (généralement absente).

Pour une gouvernance politique plus exigeante. Ce n’est pas tant le partage de la compétence que celui de son exercice politique qui soulève les questionnements de la Cour des comptes : « S’il se traduit dans l’éventail des concours financiers dont les festivals bénéficient de la part des différentes collectivités publiques, le principe de compétence partagée qui régit la politique culturelle ne trouve pas toujours à s’appliquer de façon harmonieuse dans la constitution et le fonctionnement de leurs structures de gouvernance. » Le rapport insiste ici sur l’importance d’inscrire dans les lettres de mission, conventions pluriannuelles et contrats de performance les justes contreparties aux soutiens publics de l’Etat et des collectivités auxquelles doivent répondre les festivals. Ce n’est pas toujours le cas.

Ainsi, malgré l’adoption d’un statut de société publique locale (SPL), dont le principe est pourtant de garantir l’implication des collectivités actionnaires, l’Etat s’est retrouvé marginalisé dans la gouvernance des Chorégies d’Orange. Une situation qui « témoigne de ce que peuvent être les difficultés auxquelles se heurte la déclinaison opérationnelle du principe de compétence partagée, gage d’une coordination appropriée de l’action de l’Etat et des collectivités locales au service de l’intérêt des territoires ».

L’analyse du cas particulier des Francofolies conduit à un constat similaire de flou politique dans l’exercice de la compétence partagée. Avec une gouvernance resserrée autour d’un président et d’un directeur général, « force est de constater que les partenaires publics ne sont pas associés à un contrôle interne de la structure ».

Fragilité du contrôle politique. Cette absence de corrélation entre financement et gouvernance se traduit également par un faible contrôle des choix politiques des festivals dans leur utilisation de l’argent public.

Si les statuts du Festival d’Avignon prévoient que les partenaires publics adressent une lettre de mission au directeur, le rapport observe l’absence d’un tel document de 2013 à 2022. « N’ont donc pas été formalisés les objectifs qui étaient attendus de lui ou dont il entendait faire ses priorités, et qui auraient dû structurer les conventions liant le festival à ses tutelles. »

Alors qu’un diagnostic de l’Inspection générale des affaires culturelles a nourri les conventions pluriannuelles (triennales) de financement du Festival d’Aix-en-Provence, « il n’en reste pas moins que, du côté des collectivités publiques, l’exécution de leur engagement reste subordonnée aux décisions de leurs assemblées délibérantes qui doivent être renouvelées chaque année en vertu du principe de l’annualité budgétaire ».

« De manière générale, les conventions ne servent guère de support au suivi régulier de l’activité d’un festival », insistent les magistrats de la Cour des comptes. C’est aussi le cas pour le festival Musica, régi lui aussi par une convention pluriannuelle qui en précise le projet global. Mais, alors que l’Etat et les collectivités territoriales concernées participent aux coûts du festival, la rapport note que la convention ne conditionne leur soutien à aucun objectif de résultats.

Et le rapport précise sa critique et, en creux, la manière dont il conçoit une décentralisation efficace et politiquement signifiante, en donnant l’exemple contraire du Festival mondial des théâtres marionnette de Charleville-Mézières. Ce « contre-exemple, qui s’inscrit fortement dans son territoire et dans la stratégie des collectivités territoriales, permet de souligner l’importance que revêt cet objectif [de coordination appropriée de l’action de l’Etat et des collectivités locales au service de l’intérêt des territoires]. Aux côtés de l’association organisatrice de ce festival, la Ville de Charleville-Mézières et les pouvoirs publics locaux se sont également engagés pour le développement de cette filière artistique qui est devenue au fil du temps un marqueur identitaire fort du territoire. La ville et l’agglomération ont ainsi contribué financièrement à la réalisation des nouveaux locaux de l’Ecole supérieure nationale des arts de la marionnette, livrés en 2017. »

Une décentralisation inachevée. En conclusion, la Cour des comptes estime que, malgré de réels transferts de compétences et malgré « la consécration dans la Constitution des grands principes de la décentralisation, notre pays reste encore marqué par une forte tradition centralisatrice. L’absence de vision consensuelle entre les différents acteurs, l’Etat comme les différentes catégories d’acteurs locaux, n’a pas permis de créer les conditions nécessaires pour progresser dans l’approfondissement de la décentralisation. »

Cette analyse conduit les auteurs du rapport à émettre un doute au sujet même du principe de la “compétence partagée”, non parce que la responsabilité ne saurait être assumée conjointement mais parce que les capacités de l’exercer peinent à être réunies. Bien souvent les collectivités – et notamment les communes auxquels le rapport précise que les Français sont très attachés – « ne disposent pas des moyens et de l’expertise techniques pour répondre seules aux défis sociaux et environnementaux auxquels elles doivent faire face ». Et la politique culturelle, étalon du partage de la compétence entre collectivités et avec l’Etat, ne fait pas exception. « En définitive, la situation actuelle se caractérise par une forte intrication des compétences entre un trop grand nombre de niveaux de gestion locale [qui] ne permet pas de s’assurer de l’efficience globale des interventions des acteurs et nuit à la lisibilité de cette organisation par nos concitoyens. »

Comment corriger cette situation ? « Une coordination plus efficace des acteurs concernés – régions, départements, communes, groupements de communes, établissements publics nationaux et locaux, organismes de sécurité sociale, services de l’Etat – est indispensable. »


« L’ambition d’ouvrir un acte III ne s’est pas matérialisée »

Extraits de la présentation du Rapport 2023 aux députés, le 14 mars, par Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

« Malgré les tentatives de rationalisation des deux premières étapes de la décentralisation, le nouveau bilan montre que les réformes menées depuis 2010 n’ont pas permis de remédier aux défauts de notre organisation territoriale, faute d’une vision consensuelle entre les différents acteurs. En d’autres termes, l’ambition d’ouvrir un acte III ne s’est pas matérialisée par la reprise du processus de décentralisation de manière constante. 

Pour le dire autrement, j’ai le sentiment qu’un premier mouvement a cherché à renforcer l’échelon intercommunal et celui des régions avec les grandes régions, et qu’un second mouvement est au contraire revenu sur la demande de proximité, donc sur le rôle des communes et des départements – c’est un balancement dans les deux sens, qui n’a pas tout à fait atteint sa position d’équilibre.

Notre rapport invite à poser les bases d’une nouvelle étape de la décentralisation pour revoir la répartition des compétences entre l’Etat et les différents échelons de collectivités locales et pour doter chaque échelon des moyens lui permettant de les assumer dans les meilleurs objectifs d’efficacité.

Nous proposons, pour le court et le moyen terme, plusieurs directions :

  • simplifier le partage des compétences et responsabiliser les acteurs – c’est une priorité ;
  • approfondir la coopération intercommunale et poursuivre la réduction du nombre de trop petites communes, soit par fusion, soit par création de communes-communautés ;
  • renforcer la position de chef de file en matière de politiques partagées, surtout quand le nombre d’échelons est important, et préciser les modalités de coopération en évitant les concurrences inutiles ;
  • utiliser effectivement la différenciation territoriale et les expérimentations pour tester des organisations plus efficaces et mieux adaptées à la diversité des situations locales. »

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A télécharger
Rapport annuel 2023 de la Cour des comptes
Analyse sectorielle : Festivals et territoires