Skip to main content
ActualitésQuestions territoriales

Loisirs des villes, loisirs des champs ?

Par 1 décembre 2023Aucun commentaire

Le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture a opéré un croisement entre sa dernière grande enquête sur les pratiques culturelles des Françaises et des Français (2018) et la grille communale de densité démographique. L’étude “Loisirs des villes, loisirs des champs ?” a pour sous-titre explicatif ce constat : « L’accès à l’offre et aux loisirs culturels dépend du lieu de résidence mais aussi des caractéristiques sociales des individus. » Un propos de synthèse qu’inverse sa conclusion : « Aux caractéristiques sociales des individus s’ajoute donc un effet territorial plus ou moins marqué selon les pratiques culturelles » : “l’effet territorial” contribue soit à redoubler l’effet de l’héritage symbolique, soit à l’atténuer, sans pour autant le contredire.

Concrètement, la proximité des équipements culturels favorise-t-elle significativement leur fréquentation par des catégories socioprofessionnelles moins enclines à se rendre au spectacle ? La réponse s’avère nuancée : un peu, mais non de manière décisive. Ainsi les cadres “des villes” et les cadres “des champs” sont pareillement les plus assidus à se rendre dans les lieux de culture. En revanche, « c’est dans les centres urbains intermédiaires et les petites villes que le taux de sortie au spectacle est le plus faible, là où [pourtant] se situe près d’un tiers de l’offre.  Il faut sans doute chercher ici une explication à ce phénomène dans les caractéristiques sociales des individus et dans leurs univers de loisirs plutôt qu’un effet territorial direct. » Confirmation : le goût de la sortie culturelle vient davantage de dispositions personnelles internes – « l’héritage symbolique », selon la formule des chercheurs – que du lieu de vie et de la disponibilité de l’offre.

En somme, le fameux critère de la distance des équipements culturels par rapport au lieu de vie n’est pas significativement opérant. Leur éloignement ou leur proximité ne modifient qu’incidemment les “sorties culturelles” des différentes catégories socioprofessionnelles, favorisant les unes ou entravant les autres, mais sans les modifier. Si « les cadres et les personnes les plus diplômées ne semblent pas pénalisées par un effet territorial, celui-ci s’observe en revanche pour les moins diplômés, dont les taux de pratique en milieu rural sont plus faibles que partout ailleurs ».

L’exemple de la bibliothèque. Pour faire la part de l’influence du type de territoire de résidence sur les comportements culturels, les chercheurs se sont tout d’abord intéressés à la fréquentation de l’équipement culturel le mieux réparti sur le territoire, les bibliothèques. Ils notent que, de manière générale, 12% des non-diplômés fréquentent une bibliothèque contre 39% des diplômés de l’enseignement supérieur, 18% des ouvriers ou employés contre 36% des cadres. D’un point de vue territorial, ils observent également que « les habitants des territoires ruraux à habitat dispersé ou très dispersé sont moins nombreux à fréquenter une bibliothèque ou une médiathèque que l’ensemble de la population ». Et ce alors même qu’il y a des bibliothèques partout.

Le cinéma. Même analyse pour la fréquentation des salles de cinéma, deuxième équipement de proximité (85% des cinémas les plus proches sont accessibles à moins de 15 minutes, même si cette proximité diminue sensiblement en territoire rural). Avec cette différence que si elle est également plus forte chez les diplômés, elle est aussi plus jeune. De manière générale, les 15-24 ans sont deux fois plus nombreux à aller au cinéma que les seniors (84% contre 42%), les diplômés de l’enseignement supérieur plus de deux fois plus que les non-diplômés (81% contre 33%) et les cadres plus que les ouvriers ou les employés (79 % contre 53 %).

Là encore, « aussi populaire que soit cette pratique, on observe un effet territorial discriminant pour les habitants du rural à habitat dispersé et très dispersé (– 6 points d’écart par rapport à la moyenne) ». Mais cet “effet territorial” n’est qu’en partie corrélé à la proximité de l’offre puisque la faible fréquentation des salles s’observe aussi pour les habitants des bourgs, des centres urbains intermédiaires et des petites villes.

Une hypothèse intéressante vient confirmer que la fréquentation des cinémas est essentiellement tributaire du “capital culturel” des habitants des territoires. La nature de l’offre expliquerait en partie le plus faible goût pour la sortie au cinéma en territoire rural : sachant que 36% des cinémas Art & Essai sont situés dans des communes rurales, « il se peut que leur programmation, plus exigeante, éloigne une partie de la population des cinémas ruraux ».

L’exception du festival. En 2018, près de 20 % de la population a participé à un festival au cours des douze derniers mois. Et si, là encore, les jeunes et les cadres les fréquentent plus que les autres, « on n’observe pas d’effet territorial significatif distinguant les ruraux des urbains » sauf pour les habitants des bourgs ruraux et des ceintures urbaines. Hypothèse de cette exception : « Cette progression s’explique par la massification des pratiques culturelles, la multiplication de l’offre au cours de ce demi-siècle et l’événementialisation de la culture » ainsi que par le lien des festivals à l’attractivité touristique des sites. Autant de facteurs qui expliqueraient leur faible corrélation à l’urbanité.

La mobilité. L’étude, qui explore également les “activités d’autoproduction” (jardinage, bricolage, travaux d’aiguille, cuisine…), de plus en plus investies par les cadres, jette un éclairage inédit sur l’efficience du maillage culturel d’un territoire en montrant que “l’effet territorial” en matière de culture tient plus au profil socioprofessionnel de sa population qu’à sa densité en équipements, ce qui interroge directement les politiques d’aménagement culturel du territoire. On se félicite à raison de l’exceptionnelle densité des réseaux de bibliothèques ou de cinémas de la France ; et, de fait, cette offre de proximité favorise les pratiques culturelles, mais elle ne la crée pas, le niveau de vie et de diplôme restant ici les principaux déterminants.

Un autre élément doit cependant être d’autant plus pris en compte qu’il est pour une bonne part dans la main de la puissance publique, Etat comme collectivités : la mobilité. Si l’éloignement des grands centres urbains, où se concentre l’offre de culture, explique en partie un plus faible engagement culturel dans les territoires ruraux, il concerne moins les cadres et les diplômés du supérieur. « On peut faire l’hypothèse que ces populations, par effets de revenus et de capital symbolique, ont les moyens d’une plus grande mobilité, y compris culturelle, ce qui motive en partie leur plus fort engagement dans la participation culturelle, y compris en milieu rural. » De ce dernier point de vue, l’actuel “exode urbain” ouvre des perspectives inédites.


A télécharger
Loisirs de villes, loisirs des champs ? L’accès à l’offre et aux loisirs culturels dépend du lieu de résidence mais aussi des caractéristiques sociales des individus