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Bâti ancien et transition écologique, un rapport du Sénat : éviter “le désastre”

Par 5 juillet 2023juillet 11th, 2023Aucun commentaire

Le rapport, publié le 4 juillet, concerne les dix millions de logements construits avant 1948, tous confrontés au défi de la rénovation énergétique et, à ce titre, aux outils mis en place par la loi Résilience & Climat, dont le “diagnostic de performance énergétique” (DPE) qui, en son état actuel, relègue ces bâtiments tout en bas de l’échelle mesurant leur qualité énergétique.

L’ampleur de l’enjeu. Sachant que la loi prévoit le gel des loyers des passoires thermiques à compter de 2023 et l’interdiction progressive de leur mise en location à compter de 2025, l’enjeu est considérable : 34% des logements en maisons individuelles pour 39% des consommations d’énergie, et 29% des logements en habitations collectives pour 35% des consommations d’énergies. Avec pour résultat ce mouvement déjà dénoncé par la FNCC en novembre dernier, notamment à l’occasion d’une table-ronde au Salon des maires 2022 : le renoncement aux travaux, et donc à la location, par leur propriétaire, au risque d’une désertification des centres-bourgs et centres-villes (la Fédération note, de surcroît, qu’une importante part du bâti protégé, abritant souvent des services publics, est également concerné par l’inadaptation des règlementations de la rénovation patrimoniale aux exigences de la transition climatique et énergétique même si des assouplissements ont été prévus, lien).

Soulignant que « le défi est de parvenir à rénover cet habitat tout en respectant sa valeur patrimoniale », la commission culture du Sénat s’est saisie de cette menace, également dénoncée par l’association Sites & Cités remarquables (lien) ainsi que par le G7 patrimoine (lien). Le rapport de la sénatrice (apparentée LR) du Haut-Rhin Sabine Drexler et du sénateur  (UC) du Val-de-Marne Laurent Lafon pose la question suivante : « Comment éviter que les travaux de rénovation énergétique ne se traduisent par la disparition d’une partie de notre patrimoine, la perte de savoir-faire et un gaspillage d’argent public ? »

Reconnaître les qualités énergétiques propres des bâtis anciens. Le Sénat mise tout d’abord sur la reconnaissance des qualités énergétiques singulières des modes de construction anciens, que ce soit dans le choix des matériaux (naturels, durables et locaux), l’épaisseur des murs, leur capacité de “respiration” ou encore l’orientation des façades, bénéfique tant pour préserver la chaleur en hiver que la fraîcheur en été. Principe : « Les rénovations doivent tirer parti de ces caractéristiques bioclimatiques sans les remettre en cause. »

Renoncer à l’application uniforme du DPE. Or, tel que conçu, le diagnostic de performance énergétique se fonde sur des normes aveugles aux qualités énergétiques propres du bâti ancien : ni le système constructif, ni les matériaux, ni les usages, ni l’inertie ne sont pris en considération. En l’état, l’application généralisée du DPE ne peut qu’uniformiser ou condamner ce qui fait « la cohérence architecturale, l’identité et la typicité » des paysages de la France. A quoi le rapport ajouter que les modalités de travaux généralement préconisées pour améliorer la qualité énergétique du bâti « peuvent générer des pathologies (humidité, moisissures) susceptibles de rendre sa dégradation irréversible et son occupation impossible ». D’où une première exigence fondamentale : créer un diagnostique de performance énergétique spécifique pour les bâtis anciens, ce qui permettra déjà, dans un premier temps, de minimiser les interventions nécessaires et, au-delà, de bonifier le parc immobilier d’avant 1948 au bénéfice de l’habitabilité des centres anciens d’un très grand nombre de villes, bourgs et villages. Une mesure qui, cependant, nécessite de repenser la formation de l’ensemble de la filière professionnelle du bâtiment, de l’architecte aux artisans, en accordant une place accrue à la rénovation.

Parallèlement à la création d’un DPE spécifique, le Sénat estime également nécessaire de davantage sensibiliser les collectivités aux enjeux de la rénovation du bâti ancien en incitant à la mise en place d’un PLU patrimonial dont dépendrait l’octroi de certaines subventions départementales, régionales ou nationales.

Les propositions. « La disparition de ce patrimoine serait un désastre d’un point de vue culturel, touristique, économique, mais aussi écologique. » D’où dix recommandations d’urgence.

  • Adapter le DPE aux spécificités du bâti ancien.
  • Prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées en définissant des normes relatives aux matériaux et aux techniques autorisés pour sa rénovation énergétique et en prenant en compte l’impact environnemental et le caractère durable des travaux engagés.
  • Former les diagnostiqueurs, les accompagnateurs Rénov’, les bureaux d’études, les maîtres d’œuvre et les artisans aux spécificités de la performance et de la rénovation thermique du bâti ancien.
  • Réorienter la formation dispensée aux futurs architectes en donnant davantage de place aux questions liées à la réhabilitation du patrimoine bâti.
  • Encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans leurs documents d’urbanisme.
  • Soutenir la recherche fondamentale et appliquée (retrouver des savoir-faire traditionnels, développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et accessibles financièrement…) et accompagner le développement de filières de production de matériaux de construction locales.
  • Sensibiliser les propriétaires et les collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d’une rénovation respectueuse du bâti ancien, notamment en nommant des référents dans les DRAC et en renforçant la collaboration avec les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). A noter que que l’ors du débat qui a suivi la présentation du rapport, le sénateur Pierre Ouzoulias (GCRC, Hauts-de-Seine) a estimé que la mission des CAUE, en tant qu’outil commun aux communes et aux départements, était centrale : « C’est le couple qui va nous permettre de réussir sur les territoires à mettre en œuvre des politiques publiques et en particulier culturelles efficaces. »
  • Réorienter les aides financières et fiscales pour leur permettre d’accompagner des rénovations énergétiques respectueuses du bâti ancien.
  • Associer pleinement, en interministériel, le ministère de la Culture à la définition des outils applicables au bâti ancien.
  • Organiser des Etats généraux du patrimoine durable afin de faciliter la concertation.

La rénovation du bâti ancien : un impensé politique

Le groupe Ecologiste/Solidarité et Territoires a demandé la création d’une commission d’enquête sur “l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique”. Son rapport, publié le 29 juin, constate que le bâti ancien non protégé est « un impensé de la politique de rénovation ».

La commission d’enquête pointe la menace de dégradation des centres anciens que fait porter la loi Résilience & Climat. « Le problème de la conciliation entre bâti ancien et rénovation se pose de manière croissante : l’interdiction de louer des passoires thermiques pourrait pousser des propriétaires bailleurs à rénover rapidement des logements anciens durant les prochaines années, sans pour autant que le respect des règles de l’art soit assuré. »

Créer une filière de la rénovation du bâti ancien. Face au constat que « les politiques publiques de rénovation énergétique ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités du bâti ancien non protégé », les deux sénateurs auteurs du rapport – Dominique Estrosi Sassone (LR, Alpes-Maritimes) et Guillaume Gontard (Ecologiste/Solidarité et Territoires, Isère) – estiment, à l’instar de leurs collègues de la commission culture, qu’une « filière de la rénovation du bâti ancien reste à créer pour le protéger de la banalisation et de la destruction. Il faut encourager la prise de conscience, le recensement de ce petit patrimoine et adapter les gestes de rénovation pour préserver son esthétique et ses qualités. Cela passera aussi par un développement de la formation, des outils de financement spécifiques élargis, à travers notamment la Fondation du patrimoine, et un cadre réglementaire enfin clarifié. » Une clarification qui passera par « une nouvelle réforme du calcul du DPE pour prendre en compte le bâti ancien ».

Absence du ministère de la Culture. Par ailleurs, les deux rapports font le même constat de l’absence de la voix du ministère de la Culture dans les projets de la politique de rénovation énergétique. « L’articulation entre protection du patrimoine et rénovation énergétique est d’abord liée à la question du pilotage. Il apparaît ainsi regrettable que le ministère de la Culture, compétent pour les questions relatives au patrimoine, n’ait pas été associé à la révision en 2021 du DPE. Plus largement, la coordination entre le ministère de la Culture, le ministère du Logement et le ministère de la Transition écologique sur ces questions de patrimoine apparaît défaillante. »


A télécharger
Rapport “Patrimoine et transition écologique” (4 juillet 2023)