Comment décririez-vous les particularités de votre territoire ?
Je suis vice-présidente à la culture de la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie depuis 2017, date de sa création, maire de la commune d’Isigny-le-Buat depuis 2020, et élue depuis 2014. Nous sommes sur un très grand territoire car l’Agglomération résulte de la fusion de cinq communautés de communes et représente 90 communes et 90 000 habitants soit à peu près 1/5e du département de la Manche.
Quel est ou quels sont les principaux axes de votre politique culturelle ?
Dès 2017, un cabinet est missionné pour écrire le projet de territoire. J’ai alors proposé d’écarter la question du projet culturel et ainsi de prendre le temps d’écrire un projet adapté au territoire et aux priorités pour qu’il nous ressemble. En 2020, nous avons écrit ce projet culturel du territoire dont nous avions posé les bases depuis 2017. Dans ce projet, il y a la question de la lecture publique avec un vrai réseau de bibliothèques qui s’appuie sur un logiciel commun, des ressources communes mais aussi des agents spécialisés qui travaillent en collaboration et un grand nombre d’animations. Nous y avons aussi adossé une saison spectacle vivant décentralisée qui fonctionne bien. Elle a été élaborée en considérant que tout notre territoire pouvait bénéficier d’une saison culturelle similaire à celles des plus grandes villes voisines : Granville ou Rennes par exemple. Nous l’avons souhaitée exigeante et pas spécifiquement « rurale ». Enfin, nous avons développé plusieurs dispositifs dans ce projet culturel comme la CREA (coopérative de résidence pour les écritures et les auteurs). L’idée est d’accueillir les artistes au Mont-Saint-Michel et sur l’ensemble du territoire, au plus près des habitants afin qu’ils réalisent des travaux d’écriture (chant, journalisme, BD, etc) avec un impératif pour les auteurs : laisser au territoire l’exemplaire O afin de constituer une nouvelle collection de manuscrits. Nous ajoutons ensuite une reliure traditionnelle sur ces numéros originels pour constituer une bibliothèque de manuscrits contemporains qui doivent répondre aux manuscrits patrimoniaux du Mont-Saint-Michel.
Quels sont vos principaux atouts culturels : tissu associatif, patrimoine, équipement… ?
Le premier atout est la confiance et la collaboration des élus de notre territoire, puis un budget stable qui permet de se projeter et de préparer sereinement les saisons au fil du temps. Par ailleurs, hors spectacle vivant, nous disposons de certains équipements, notamment le réseau des 19 bibliothèques, qui permettent de déployer notre projet culturel. Notre réseau de lecture publique et celui des écoles d’art – qui accueille plus de 1500 élèves – sont solides avec une tarification et des modalités harmonisées. Par ailleurs, l’absence de grands équipements scéniques nécessite une grande capacité d’adaptation des compagnies à nos contraintes techniques et vice versa. Nous collaborons, dans ce cadre, avec les communes en utilisant leurs équipements.
Quels sont vos principaux freins : compétences, équipements, ingénierie… ?
La première difficulté rencontrée à cette volonté de porter une délégation culture forte est la nécessité de structurer les services. Nous avons donc recruté une directrice des affaires culturelles. Chacun a dû trouver sa place, aussi bien coté élu que coté agent : en l’absence de direction artistique ce sont souvent les élus qui conçoivent la programmation. En 2017, je n’imaginais pas la tâche aussi importante, c’est d’ailleurs la première directrice des affaires culturelles qui m’a conseillé d’adhérer à la FNCC pour me former, échanger. Petit à petit, les commissions cultures sont devenues un lieu de formation et d’échange pour essayer de sensibiliser les élus. Aujourd’hui, ils comprennent les enjeux d’une politique culturelle forte et ancrée dans notre territoire, c’est une chance pour les habitants.
Une autre difficulté a été de prendre une place dans le paysage culturel car la culture est une compétence partagée. Le Département de La Manche a contractualisé avec des communes autour du dispositif “Villes en scène”, une saison culturelle décentralisée autour d’un choix commun de spectacles. A certains endroits du territoire la compétence était communautaire avant 2017 et d’autres communales. Les élus avaient un peu de difficultés (on les comprend) à comprendre la place de l’Agglomération, venant s’intercaler. Finalement, nous avons fait le choix de redonner aux communes cette compétence sur le spectacle vivant pour qu’elles gèrent de manière autonome leur programmation en direct avec le Département. Ce n’est la faute de personne, c’est simplement un manque d’anticipation de la Loi NOTRe.
Qu’apporte la présence des arts et de la culture dans votre territoire : animation, rayonnement, fierté, partage… ?
La première chose qui me vient à l’esprit est le partage. Nous travaillons beaucoup la question des résidences d’artistes afin qu’ils soient immergés dans la vie locale. En l’absence de grand équipement structurant et de structure hôtelière adaptée, nous avons fait le choix d’accueillir les artistes dans des gîtes ruraux pour qu’ils soient en immersion totale avec les habitants et cela fonctionne bien.
Par ailleurs, lors des élections de 2020, je suis élue maire et de nouveau vice-présidente de l’Agglomération mais cette fois-ci en deuxième position et non 15e. Cela est important, non pas pour moi, mais pour le projet culturel que nous portons. Cela montre que les élus sont sensibles et sensibilisés à l’intérêt d’une politique culturelle, une vraie récompense. Le travail effectué en matière de culture lors du premier mandat a porté ses fruits, malgré quelques petits changements d’habitudes : je ne souhaitais plus par exemple, d’ouverture de saison magistrale. Nous avons instauré “un dimanche à la campagne” : les habitants sont invités le temps d’une journée dans un lieu ouvert, une ferme en plein cœur d’Avranches par exemple, et nous proposons aux familles de venir découvrir des propositions culturelles toute la journée et présentons la saison de manière informelle par des panneaux, des flyers ou des échanges.
FOCUS SUR UNE INITIATIVE
Ferm@culture : la culture s’invite à la ferme
Présentation du dispositif
Ferm@culture est un projet de la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie qui existe depuis 2021. Il a été pensé pour valoriser les fermes du territoire qui s’engagent dans la préservation des savoir-faire mais également des races locales et des culture maraîchères qui forment un patrimoine important. Cette valorisation intervient par l’organisation de spectacles dans des exploitations agricoles. Cela permet d’emmener les gens aux quatre coins de l’agglomération pour faire déguster les produits des agriculteurs à l’occasion d’un évènement culturel.
Le versant rural de la saison culturelle
Ferm@culture est peut-être le seul dispositif du projet culturel de la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie que l’on pourrait étiqueter comme “rural”. L’intercommunalité utilise la culture comme levier transversal dans ses politiques publiques notamment en ce qui concerne le plan alimentaire du territoire (PAT) où il a été décidé de travailler dans les fermes.
Un choix de spectacle en lien avec le dispositif
Le projet Ferm@culture intègre la ruralité dans la saison culturelle par la valorisation des fermes du territoire mais pas seulement. En effet, les spectacles choisis pour être présentés dans ce contexte particulier sont, eux aussi, en lien d’une certaine manière avec la thématique du projet, soit parce qu’ils relatent ou portraiturent la vie rurale, soit par l’évocation de l’alimentation par exemple. Pour la saison 2024-2025, deux créations seront jouées dans le cadre du dispositif : La Trouée, Road trip rural, un seul artiste en scène sur la vie en zone rurale et Apérotomanie, un spectacle dînatoire sur l’apéro en tant que rituel d’ouverture possible vers l’érotique.
De l’importance de se décomplexer – Le mot de Jessie Orvain
Ce n’est pas parce qu’on est élu à la culture qu’on doit être calé, formé, spécialiste sur tous les sujets culturels. Je pense qu’il faut vraiment apprendre à se décomplexer. Nous avons le droit d’avoir une appétence pour quelque chose de beaucoup plus grand public. Jusqu’à présent, nous avions beaucoup d’attentes vis-à-vis des élus à la culture et notamment qu’ils soient de fins connaisseurs, des encyclopédies de peintures, de littératures, etc… mais l’important, ce n’est pas la posture de sachant mais bien de faire une programmation qui appelle les habitants, qui leur donne envie, qui les sensibilise. On ne peut pas vouloir rendre la culture accessible et être complétement à l’opposé dans les axes de sa politique culturelle.
Propos recueillis par Noémie Picard