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« Un futur pour la culture » : droits culturels, territoires et écologie

Par 21 décembre 2020avril 4th, 2022Aucun commentaire

Alors qu’en France, la perspective pourtant inscrite dans la loi de placer les politiques culturelles sous l’égide du respect des droits culturels continue de susciter des résistances ou, à tout le moins, un scepticisme tenace, voire une certaine incompréhension, la Fédération Wallonie-Bruxelles en a fait la « boussole » de son Plan de relance face aux impacts de la pandémie de coronavirus.

Bénédicte Linard, ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes

La démarche consistant à prendre les droits culturels comme “boussole” pour un projet de relance de la vie culturelle, pour nous notable, semble relever outre-Quiévrain du simple bon sens. Une évidence que traduit notamment la rédaction de l’introduction du rapport “Un futur pour la culture” (juillet 2020) rédigé par une cinquantaine de personnalités réunies par le ministère belge de la Culture. Ici, les droits culturels sont conçus comme un point de départ et non comme une audacieuse avancée théorique.

Cinq objectifs. Le rapport décline cinq objectifs, soit autant d’exigences s’imposant aux pouvoirs politiques pour assurer une triple liberté : l’accès, la participation et la contribution à la vie artistique et culturelle. Détaillant de manière concrète ces objectifs (qu’on peut adosser à autant de textes internationaux, voir « textes de références » sur le site), le rapport synthétise les grands axes du projet de politique culturelle de la Fédération de Wallonie-Bruxelles. Une politique qui se donne pour missions :

  • la protection et la promotion de la liberté de création (référence ONU : “Le droit à la liberté d’expression artistique et de création”, rapport de Farida Shaheed, 2013) ;
  • le droit au maintien, à la sauvegarde et à la promotion de la diversité culturelle (Unesco : “Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles”, 2005) ;
  • le droit d’accès à la diversité de la vie culturelle, c’est-à-dire le droit d’avoir/de recevoir les moyens de dépasser les obstacles physiques, financiers, géographiques, temporels, d’ordre symbolique ou socioculturel qui entravent l’accès à la culture (Unesco : “Recommandation concernant la participation et la contribution des masses populaires à la vie culturelle”, Nairobi1976) ;
  • le droit de participer à la vie culturelle (au sens strict) qui implique celui de prendre part activement à la diversité des vies culturelles, de recevoir les moyens concrets de s’exprimer sous une forme artistique et créative et d’accéder aux “clés” et “références culturelles” permettant de s’exprimer de manière critique et créative (Unesco : “Recommandation sur la condition de l’artiste”, Belgrade1980 ; ONU : “Observation générale n°15 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels”, 2009) ;
  • le droit à l’égalité et à la non-discrimination dans l’exercice du droit de participer à la vie culturelle (ONU, notamment : “Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes”, 1979).

Que tout un chacun bénéficie des « moyens concrets de s’exprimer sous une forme artistique », d’être en mesure de dépasser les obstacles entravant l’accès à la culture, que tous les groupes, toutes les personnes, puissent, dans leur singularité et dans l’échange, « participer à la vie culturelle (au sens strict) »…, toutes ces lignes directrices fonctionnent à la fois comme une finalité et comme un guide pratique pour la construction des politiques culturelles publiques. Elles sont explorées au travers de la constitution de cinq groupes de travail sur des thématiques dans lesquelles on reconnaîtra des actions déjà à l’œuvre en France, que ce soit à l’échelle nationale ou locale, pour :

  • “décoloniser” la culture et lutter contre les discriminations, qu’elles soient basées sur le genre, la prétendue race, l’origine ethnique…,
    développer des “contrats de filière” des secteurs culturels, que ce soient ceux de la musique, du livre, du patrimoine, du son et de la littérature, du tourisme… (l’exemplarité française est soulignée),
  • favoriser l’émergence de tiers-lieux,
  • renforcer et développer l’offre de « parcours d’éducation culturelle et artistique » (PECA, version belge de notre éducation artistique et culturelle),
    et, plus classiquement, promouvoir la diffusion.

En revanche, la nouveauté d’approche de ce rapport – intrinsèquement liée au choc de la crise sanitaire – consiste à placer le respect et la promotion des droits culturels sous l’égide de deux autres paramètres : la territorialisation et la lutte contre le réchauffement climatique ainsi que contre la perte de la biodiversité.

Proximité et ancrage territorial. Plaidant pour un mouvement de “relocalisation”, le rapport en appel à « une attention particulière à l’ancrage des projets culturels dans le territoire où ils se trouvent ». Cette recommandation, qui rejoint une approche portée par la FNCC, se précise ainsi : « Il y a un enjeu à faire “transpirer” les lieux hors de leurs murs, à les inscrire véritablement dans leur environnement social, environnemental, économique, écologique » selon une logique privilégiant les circuits courts et l’idée de “permaculture”, en référence à une agriculture fondée sur le respect des écosystèmes naturels. Le rapport parle encore de fonctionnement “par capillarité” (tout en soulignant l’apport essentiel de la diversité culturelle et des collaborations internationales). Donc un principe de territorialisation, mais couplé à la mise en valeur de la transversalité des enjeux culturels.

Enjeux environnementaux : le “potentiel positif” de la culture. C’est ici que la pensée développée dans “Un futur pour la culture” s’avère la plus inventive. Certes en France, et sous l’effet de la crise sanitaire, les initiatives pour conjuguer vie culturelle et écologie se multiplient. Ainsi, l’association “Arviva, arts vivants, arts durables” veut « interroger les pratiques quotidiennes des métiers du spectacle vivant afin d’identifier des alternatives durables pour réduire l’impact environnemental de ce secteur ». A noter encore l’appel “Pour une écologie de la musique vivante” (juin 2020), signé de trois cents musiciens et producteurs, qui remet en question « le modèle de l’artiste “star”, dont la valeur est calculée au nombre de tournées dans l’année » (donc sur la lourdeur de son “bilan carbone”) et plaide pour un « artiste qui agit localement »

La pensée du groupe de travail franco-wallon est plus large. Elle recourt à une hypothèse : face au constat des menaces que les atteintes à l’environnement font peser sur la culture, il s’agit de considérer « le potentiel positif de la culture, du patrimoine, de la réalisation des droits culturels, pour lutter contre les changements climatiques et les pertes dans la biodiversité qui s’annoncent, catastrophiques, ainsi que pour s’adapter aux changements déjà à l’œuvre ».

La nature de ce “potentiel positif” n’est pas précisée plus avant par le rapport. Il est présenté comme un fait : la nature et la culture auraient partie liée : le travail artistique et esthétique serait pour ainsi dire “l’allié objectif” de l’écologie… Il est permis d’en douter, notamment au regard de l’industrie culturelle. Mais on peut aussi y lire une légitime conviction philosophique quant à l’osmose entre l’art et la nature que portait déjà Kant : « Le génie est la disposition innée de l’esprit par laquelle la Nature donne ses règles à l’Art. »

Plus politiquement, cette conviction en l’essence écologique des activité culturelles anime aussi les députés du Parlement européen, et notamment ceux du groupe centriste Renew (Renaissance). Dans sa résolution prônant de flécher vers la culture au moins 2% des crédits du plan de relance de l’Union européenne face à la crise sanitaire, ce texte, adopté à une très large majorité le 17 septembre, considère notamment que « la culture a une valeur intrinsèque en tant qu’expression d’humanité, de démocratie et d’engagement civique qui peut être essentielle pour faire progresser le développement durable ».

Quoi qu’il en soit, le triptyque droits culturels/territorialisation/écologie proposé par la Fédération Wallonie-Bruxelles constitue un alliage théorique sinon nouveau, du moins encore informulé avec autant de clarté, pour structurer des politiques culturelles publiques en prise avec les enjeux contemporains.

A télécharger
Le rapport « Un futur pour la culture »