Le 19 mai, à l’invitation de la Région Sud et à l’initiative de Florian Salazar-Martin, élu à Martigues et vice-président de la FNCC, une rencontre était organisée sur le thème « Les collectivités territoriales et le cinéma, un enjeu pour les politiques publiques ». Les échanges ont essentiellement porté sur le faible retour des publics en salle alors que les restrictions liées à la crise sanitaire sont levées depuis quelques mois. Un constat qui appelle un renouvellement en profondeur des politiques en faveur du cinéma, voire des contenus mêmes de la production cinématographique. Car, selon le terme du président de la FNCC, le retour en salle ne sera pas « automatique » et la mobilisation des collectivités pour le favoriser décisive. Echos et extraits des débats.
L’animateur de la rencontre, Vincent Thabourey directeur général des Ecrans du sud, a ouvert les débats en citant un récent article du Monde titré « Le cinéma est-il mort ou vif, bousculé par les plateformes et affaibli par le covid ? » Et en donnant quelques chiffres inquiétants (confirmés par une étude du CNC dont le représentant, Julien Neutre, a annoncé la publication imminente lors du débat) :
- baisse de 20% de la production : 230 films produits en 2020 pour 150 aujourd’hui,
- baisse de 30% des investissements et du nombre de jours de tournage,
- croissance pendant la période Covid des abonnements aux plateformes de visionnage en ligne de 32% (selon une étude de l’Ifop pour l’AFCAE).
L’engagement des collectivités. Se félicitant de cette rencontre sur les problématiques du cinéma – une première pour la FNCC –, le conseiller régional en charge de la culture, Michel Bissière, a donné l’exemple de sa Région pour illustrer l’engagement des collectivités dans le soutien à la filière cinématographique : financement de 40 festivals de cinéma, accroissement des budgets (+50% en 2016, +30% en 2021)…
Au-delà de l’aspect financier, la Région Sud a aussi marqué sa volonté d’accompagner l’ensemble de la filière, des auteurs jusqu’aux exploitants de salles – scénaristes, techniciens, écoles, studios (Marseille, Martigues, Nice, Toulon, Cannes) – en organisant pendant deux ans une concertation qui a abouti à un plan stratégique partagé, car « il y a une forte demande de contenus ainsi qu’une concurrence accrue ». D’où également la création d’un fonds d’accompagnement du cinéma et de l’audiovisuel initié par la Région, que Michel Bissière souhaite qu’il s’élargisse à d’autres collectivités. La Métropole de Nice en est déjà partie prenante et celles de Marseille et Toulon s’apprêtent à y participer. Un lien pourrait également s’établir avec le Fonds cinéma de la Ville de Martigues.
La mobilisation des collectivités en faveur d’une filière qu’intuitivement on imagine relever surtout de l’initiative privée et de la régulation de l’Etat trouve aussi sa traduction concrète dans le Bureau des tournages de la Métropole de Toulon. Hervé Stassinos décrit l’avantage d’une mise en commun entre collectivités : « Aujourd’hui, toutes les demandes de tournage passent par ce Bureau, ce qui accroît la diversité des lieux en plein air que nous pouvons proposer, avec une palette complète : une base navale pour des films de guerre, un téléphérique, des plages… » Et précise : « A nous de travailler ensemble pour aider la filière, pour faire encore plus de films et donner l’envie de les voir, en salle comme à la télévision ou les plateformes numériques. En effet, s’il y a des baisses de fréquentation en salle, on assiste à une explosion du visionnage sur les plateformes. »
De nouveaux imaginaires ? C’est notamment cette concurrence que subissent les salles de la part des plateformes qui fait débat en ce qu’elle contribue à affaiblir le retour des publics. Sans nier l’intérêt de cette nouvelle modalité de la vie des films, force est de reconnaître qu’elle pose des problèmes économiques, car la diminution de la billetterie des salles ne pourra pas être entièrement compensée par le soutien public. Mais aussi démocratique tant la rencontre dans et autour des salles s’avèrent essentielle pour le vivre-ensemble et enfin esthétique : et si l’une des raisons pour lesquelles le public ne revenait pas était une offre moins en phase avec les attentes qu’auparavant ?
Agnès Freschel, maire-adjointe à la culture du 1er secteur de Marseille, note que si la diminution de la fréquentation est particulièrement sensible pour l’opéra ou le théâtre, elle l’est moins dans les musiques actuelles et pas du tout pour les événements relevant davantage de la fête. « Plus qu’un changement des pratiques, on assiste à une modification des attentes. Peut-être le Covid n’a-t-il été que l’accélérateur d’une mutation toujours en cours » qui fragilise le modèle actuel de fabrication de la culture, par exemple celui, liant luxe, décorum et création, prévalant au Festival de Cannes. Mais la prise en compte d’attentes nouvelles se heurte aux habitudes. « S’il n’est désormais plus très compliqué de convaincre d’investir dans la culture, en revanche, il y a davantage de réticence au changement dès qu’on aborde la question des représentations : des femmes, des générations, de la diversité, etc. », estime Agnès Freschel.
Se référant à la rencontre de la FNCC sur les musiques actuelles lors du Printemps de Bourges, le président de la FNCC élargit de champ de l’interrogation pour en conclure à la nécessité d’une mutation d’ordre politique. « La question du retour du public est un enjeu qui va au-delà du cinéma. Or, nous n’avons pas pris la dimension de cet enjeu. Le soutien qu’ont apporté l’Etat et les collectivités aux différentes filières a été essentiel, mais avons-nous pris en compte la suite, à la fois la question du retour des publics mais aussi des mutations qui affectent, différemment, chaque filière ? »
Comment travaille-t-on à de nouveaux imaginaires ? Peut-être y a-t-il de nouvelles formes du cinéma à imaginer… C’est là un travail de fonds sur lequel les collectivités ont leur mot à dire.
A condition de mener une réflexion large et partagée, plusieurs pistes pourraient favoriser le retour des publics vers les événements culturels. Parmi elles, un travail plus étroitement maillé entre l’Etat, le CNC et les collectivités pour promouvoir la médiation et soutenir la diversité, dont celle des salles ou encore via un emploi différent d’outils existants, comme le Pass culture : « Comment peut-il devenir un outil de retour du spectateur et pas seulement un outil consumériste d’intervention financière ? »
Frédéric Hocquard ajoute un troisième élément, plus prospectif et philosophique. « Comment travaille-t-on à de nouveaux imaginaires ? Peut-être y a-t-il de nouvelles formes du cinéma à imaginer… C’est là un travail de fonds sur lequel les collectivités ont leur mot à dire. » Un exemple. Certaines créations récentes font explicitement écho aux enjeux contemporains tels que la crise climatique. C’est là le succès, par exemple de Don’t Look Up ou de la série sur Malik Oussekine. « Cet imaginaire-là ou d’autres peuvent remotiver les spectateurs… Peut-être qu’un cinéma plus exigent, plus engagé, attirera davantage. »
A noter, en écho direct, que l’intervention de Louisane Roy, directrice associée de La Réserve des Arts, à Marseille, transposait dans la gestion technique même des processus de production de films l’hypothèse d’avenir qu’une plus grande connexion entre les thèmes de la création cinématographique et les inquiétudes contemporaines serait susceptible de mieux mobiliser les publics, notamment les jeunes. En ce sens, l’activité de recyclerie des matériaux utilisés dans le cadre des événements culturels – décors, costumes, voir même les 2,6 tonnes du tapis rouge de la cérémonie du Festival de Cannes – est aussi « une manière de sensibiliser, au travers de la culture, aux enjeux de l’environnement ». Ce que confirme Michel Bissière en reconnaissant que le projet de La Réserve des arts « va dans le sens de l’Histoire ».
Le président de la FNCC précise enfin que le choix de citer ces deux productions sorties sur les plateformes ne signifie aucunement qu’il se résigne à la culture en ligne. Bien au contraire. Dans un autre domaine, on constate qu’avec certaines esthétiques musicales (rap, électro…), le problème du remplissage des salles ne se posait pas et qu’un concert de musique classique produit en plein air, type guinguette, faisait le plein. « Cela ne veut pas dire qu’il faut transformer la séance de cinéma en apéro-pétanque, mais qu’il y a un travail de réflexion à mener aussi sur ces aspects-là. » Donc une responsabilité des collectivités via notamment leurs cinémas municipaux ou d’autres, associatifs, avec lesquelles elles travaillent en partenariat, pour favoriser, par la médiation, par l’éducation à l’image, par l’enrichissement de « l’expérience spectateur », le plaisir sensible et démocratique de la sortie culturelle.
Le rôle des cinémas municipaux et des politiques locales. L’adjointe à Issy-les-Moulineaux et membre du Bureau de la FNCC, Fabienne Liadze, évoque son travail d’exploration de nouvelles formes et de nouvelles collaborations. « A la rentrée, sept nouvelles salles s’installeront dans un nouveau quartier d’Issy-les-Moulineaux, ce qui nous interroge. Nous travaillerons avec elles dans le cadre de Ciné d’Issy autour de la médiation et de l’éducation à l’image mais en innovant, avec par exemple cette idée qu’étant donné les quatorze avec d’autres villes du monde entier jumelées à la nôtre, nous pourrions œuvrer à mieux faire connaître le cinéma de ces différents pays. » Et également favoriser les projets autour du cinéma des écoles.
La commune du Pradet mène une action dans le même sens avec l’une de ses salles de cinéma associatives. « L’idée est de faire à la fois de la programmation tous publics, de la VO et de l’art & essai – un type de répertoire que nous souhaitons aider à continuer à vivre, car ce n’est pas l’objet des grands circuits de diffusion. Il y a aussi beaucoup d’actions avec les écoles, les classes élémentaires, les collèges pour faire découvrir les métiers du cinéma, notamment ceux liés au numérique », explique Hervé Stassinos en tant que maire. Qui ajoute, de manière optimiste : « Je ne désespère pas, car ce qu’aiment les gens, c’est la fête, la sortie au cinéma, en famille, entre amis, avec un rendez-vous au café avant et un restaurant après. Et d’ailleurs les collectivités sont très attentives à tout cet environnement autour des salles. »
En écho direct avec le travail du Pradet, cette réflexion de Julien Neutre : « Nous savons d’ores et déjà l’importance de l’enjeu de l’animation de la salle de cinéma. Nous disposons d’un maillage de salles exceptionnel – un bien commun unique, extraordinaire – et intégralement préservé ; mais il faut l’animer. D’où un fort accent mis sur la médiation » que traduit notamment la récente inscription de l’Education à l’image dans les dispositifs Maternelle au cinéma obtenue par le CNC.
Une remarque d’un directeur de cabinet d’études en salles de cinéma sur un projet de création de salles à Saint-Rémy-de-Provence confirme non seulement la pertinence de l’engagement municipal mais en souligne l’absolue nécessité. « Le projet est coûteux. Il ne va être possible que grâce au fort soutien de la mairie. Certes la crise sanitaire n’est pas tout à fait close et des craintes persistent, mais nous avons confiance en une demande croissante de culture. Et ce projet, qui n’est pas isolé, ne pourrait pas exister sans le soutien des collectivités. »
Enfin, au-delà de ces quelques exemples d’initiatives où les salles de cinéma contribuent activement à la vie collective et à ce que la directrice de l’Unesco, Audrey Azoulay, a récemment appelé dans le rapport « Re|penser les politiques en faveur de la créativité » (sur le site de la FNCC) « la respiration intime » culturelle, tous les intervenants ont salué l’action de Martigues pour son projet de création de trois salles en centre-ville. Réflexion depuis la salle du représentant de l’Association pour le développement régional du cinéma (ADRC), Christian Landais : « Ce moment où l’on réfléchit collectivement à la question du retour du public dans les salles aura peut-être cette vertu de nous amener à nous requestionner sur la nature des besoins et sur la pertinence de prévoir des espaces de médiation, comme c’est le cas à Martigues. »
Au regard de la richesse des débats et du sentiment partagé que le cinéma et tout particulièrement les salles doivent trouver leur pleine place dans les politiques culturelles locales, le conseiller régional de la Région Sud conclut : « Comme pour les Journées d’Avignon de la FNCC, peut-être pourrions nous organiser chaque année à l’occasion de Festival de Cannes et sur le stand de la Région Sud, une Rencontre cinéma des collectivités… »