Skip to main content
ActualitésSéminaires des adhérents

La lecture publique, les médiathèques, le livre : où en sommes-nous ? quelles perspectives ?

Par 4 juillet 2019juillet 25th, 2019Aucun commentaire

Lecture à la peine et essor des bibliothèques

 

Nicolas Georges, directeur en charge du livre et de la lecture publique au ministère de la Culture (Direction générale des médias et des industries culturelle/DGMIC), est venu rencontrer les élus de la FNCC pour faire un point d’étape sur les politiques du livre et de la lecture publique. Un exposé très dense qui a permis de préciser les grandes orientations du ministère de la Culture et d’échanger autour des interrogations des élus, notamment sur la question des transferts des bibliothèques aux intercommunalités et du prêt numérique. Echos du séminaire des adhérents de la FNCC du 19 juin.

Le séminaire des adhérents de la FNCC à l’Hôtel de Ville Paris

La non-révolution numérique du livre. Face à la mutation numérique, tout oppose le livre et la musique. Alors que l’économie de la musique a été totalement bouleversée par le déclin du disque et l’essor de l’écoute et de l’achat en ligne, la chaîne du livre est restée largement imperméable au numérique.

En charge de la direction du livre et de la lecture publique depuis dix ans, Nicolas Georges se souvient : « Les élus me disaient : pourquoi continuer à créer des médiathèques puisque tout est sur Internet ? Un discours similaire était tenu sur les librairies face à Amazon. Et on prédisait la déferlante de l’e-book… Cette période est close. » La révolution numérique n’a pas eu lieu dans le domaine du livre, même si la digitalisation a modifié les fonctionnements de l’industrie du livre, rendant par exemple possible des tirages en très petite quantité, voire à l’unité, sans perte de qualité.
Aujourd’hui, en France, le livre numérique ne représente que 8% du marché, dont 4% pour les professionnels des sciences (droit, mathématiques…). Et un peu pour quelques segments très particuliers de la fiction, comme le néo-érotisme, précise-t-il. A la différence de la musique ou du cinéma, « l’enjeu n’est donc pas celui d’un transfert de la valeur vers les Gafam. L’enjeu, reste le lecteur. »

Déclin de la lecture. Du point de vue des tendances globales des pratiques culturelles aussi, tout oppose le livre et la musique. Selon les enquêtes menées depuis 50 ans par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture, la musique a remplacé le livre en tant que vecteur premier d’identification culturelle (cf. la Lettre d’Echanges n°170). Parallèlement, la pratique de la lecture semble poursuivre son déclin.

Nicolas Georges, directeur du livre et de la lecture publique au ministère de la Culture

Les gros lecteurs en particulier (plus d’une douzaine de livres par an) tendent à disparaître et la proportion de personnes qui ne lisent pas du tout persiste. Au milieu, il y a un “marais” de lecteurs occasionnels qui ne suffit pas pour assurer le dynamisme du marché. « L’enjeu de demain est donc de former des lecteurs, un combat culturel, mais aussi démocratique où les bibliothèques sont en première ligne. » De ce combat, les bibliothèques sortent victorieuses, mais… pas sur le livre. Presqu’un Français sur deux fréquente les médiathèques. En revanche on emprunte de moins en moins : entre 15% et 22% des fréquentants. « Que font les autres ? », s’interroge le directeur du livre.

La bibliothèque au-delà du livre. La première mutation des bibliothèques s’est opérée dans les années 80-90, avec la notion de médiathèque : prêt de disques, de vidéos mais aussi développement de l’action culturelle. De là un élan de construction et de modernisation. Dans les années 2000, la notion de bibliothèque “3e lieu” a été formalisée : non seulement des lieux de culture mais aussi de sociabilité ou encore de travail, en particulier pour les collégiens et lycéens.

« La bibliothèque est un monde propice aux échanges d’expériences », a souligné Jean-Philippe Lefèvre, président de la FNCC. Grâce au dialogue constant entre bibliothécaires mais aussi grâce aux exemples étrangers, de nombreuses missions autres que la seule lecture ont été développées. Nicolas Georges fait notamment part d’une visite qu’il a effectuée à Londres pour voir les Idea Store : des bibliothèques ouvertes 7 jours sur 7 et où l’on peut apprendre des langues, faire du yoga, mettre ses enfants en crèche… Le plus souvent, les gens en ressortent avec un livre, une vidéo… Les bibliothèques ont muté et « il faut les accompagner dans cet au-delà de la culture », dans cette hybridation des missions et des offres. Il cite l’exemple de Vaulx-en-Velay, où la bibliothèque a fusionné avec la crèche, sous une seule direction. En territoires ruraux, ce seront des Maisons de service public. Pour sa part, Martine Publié, vice-présidente culture du département du Rhône donne l’exemple d’une bibliothèque qui ouvre 55h par semaine, car, adossée à une épicerie, elle s’est calée sur ses horaires d’ouverture.

L’inter-communalisation des bibliothèques ? C’est bien entendu là, en particulier à la suite de l’agrandissement du périmètre des communautés de communes, l’actualité la plus vive des bibliothèques. D’où un débat initié par Jean Piret, maire de Suin, qui a constaté la réticence des communes à transférer leurs équipements, alors même que c’est au niveau de l’intercommunalité qu’on peut dégager des moyens financiers significatifs. Pour sa part, Yves Dumoulin, maire de Fareins, a souligné deux conséquences négatives des transferts : « Une fois opéré, cela a démotivé les bénévoles, car ils se sont retrouvés sous l’autorité de la médiathèque centrale. Finalement, la fréquentation a commencé à baisser. »

Contre-exemple en Normandie, donné par Jessie Orvain, en charge de la culture à la communauté de communes Mont Saint-Michel Normandie, soit le regroupement de 90 communes rurales. La prise de compétence de la lecture publique par l’EPCI a, là aussi, d’abord suscité des réticences, surtout de la part des agents, avec la crainte d’une perte d’autonomie. « Mais nous avons réussi à les rassembler autour d’un projet commun, à partir de la Nuit de la lecture. Les gens ont appris à se connaître, à voir des structures plus évoluées que les leurs. » Fabienne Tirtiaux, maire-adjointe à Saint-Genis-Laval, évoque une « solution médiane. Nous avons juste intercommunalisé une carte d’inscription commune, ce qui a satisfait tout le monde. »

Nous sommes favorables à une gestion intercommunale, car les bibliothèques sont des établissements qui par nature travaillent en réseau ; la mutualisation permet une gestion plus efficiente.

Cette approche par la complémentarité entre les bibliothèques communales et une structuration intercommunale fait écho avec le rôle que peuvent jouer les départements. Ainsi, Martine Publié, décrit les principaux axes de la politique départementale de la lecture publique dans le Rhône : la formation des bibliothécaires et des bénévoles, l’action culturelle ou encore la mise en valeur d’expérimentations remarquables. Cet engagement du département « renforce le réseau. Mais, à mon sens, il ne faut surtout pas se substituer aux élus des territoires. »

Quelle est, de ce point de vue, la doctrine de l’Etat ? « Nous sommes favorables à une gestion intercommunale, car les bibliothèques sont des établissements qui par nature travaillent en réseau ; la mutualisation permet une gestion plus efficiente. » Quant au rôle des départements, il est essentiel pour le numérique et, en effet, pour la formation et l’action culturelle. Nicolas Georges rappelle aussi le succès des contrats Territoires/Lecture, un « très bel outil » montrant l’efficacité de la logique de mutualisation.

Les partenaires des bibliothèques. En écho au propos liminaires du directeur du livre et de la lecture, Françoise Rougerie, élue à Lille, confirme que « l’enjeu est bien celui de la recherche des lecteurs ». D’où une volonté politique d’association des bibliothèques avec les écoles (« ce qui n’est pas une mince affaire, car les enseignants ont parfois du mal à ouvrir leurs établissements »), pour promouvoir l’éducation artistique et culturelle. Pour sa part, Jean-Philippe Lefèvre évoque l’expérience des “bébés lecteurs”, et en particulier le dispositif “Premières pages” développé dans le département de l’Ain.

Bruno Vatan, maire-adjoint à Colomiers, prend acte du dynamisme des bibliothèques. En revanche, il s’inquiète de l’effet délétère des phénomènes de la concentration dans l’économie du livre opérée par les Gafam. « C’est la chaîne du livre en son entier qu’ils fragilisent. Il faut à mon sens défendre l’indépendance pour préserver la diversité de la création. Pour ma part, je crois beaucoup au binôme librairie indépendante/bibliothèque publique. »

Nicolas Georges confirme l’alliance naturelle des bibliothèques avec les écoles ainsi qu’avec les librairies. Pour ces dernières, il met en avant l’augmentation à 90 000€ du plafond sous lequel les collectivités peuvent passer leurs commandes sans appel d’offre auprès des librairies indépendantes. « Voilà une mesure typique pour renforcer le binôme librairie/bibliothèque. » Quant à la concentration économique, s’il faut rester vigilant, elle peut présenter des aspects positifs, comme par exemple la chaîne Cultura, filiale d’Auchan, qui prévoit la création d’une dizaine de nouveaux magasins par an. Le livre en bénéficiera, car 40% du chiffre d’affaires de la chaîne provient du livre. « Il y a là, indéniablement, une véritable dynamique. » Enfin, au-delà des partenariats avec l’Education nationale et avec les librairies, il souligne que le lien est également utile avec les centres de loisirs pour le hors temps scolaire.

Le prêt numérique. Agnès Sinsoulier-Bigot, vice-présidente en charge de la culture en région Centre-Val de Loire, note que les droits d’accès aux contenus numériques sont souvent exorbitants et décourageants. Elle craint également que le développement de l’offre numérique via Internet décourage de se rendre physiquement dans les bibliothèques.

Sur ce vaste sujet de la diffusion numérique, Nicolas Georges fait trois remarques. La première est que la gratuité du prêt du livre papier n’est qu’apparente. Si les éditeurs et auteurs cèdent leurs droits pour le livre papier, l’Etat débourse environ 10M€ par an en dédommagement de cette exception au principe de la propriété intellectuelle. Un dédommagement auquel les collectivités territoriales contribuent également.
Pour ce qui est du risque de décourager de la fréquentation physique, il fait remarquer que les comportements ne sont pas univoques. Certaines pratiques se renforcent les unes les autres. Par ailleurs, « il ne nous revient pas de freiner l’appétence pour le numérique, d’où notre soutien aux collectivités sur ce point ».

Enfin sur le coût des contenus numériques qui, eux, ne bénéficient pas d’une exception des droits d’auteur. Tout d’abord, sur la base du volontariat, les éditeurs se font souvent céder les droits de prêt et le ministère les incite à proposer des offres aux collectivités. Elles sont de fait de plus en plus abondantes, avec des licences dessinées différemment selon les cas : un certain nombre d’accès en simultané et un calage dans le temps, etc.
Certes, le coût reste non négligeable, mais ici, c’est au regard de l’autre part du travail de la direction du livre et de la lecture publique – celle du soutien à l’économie du livre – que réagit Nicolas Georges. « Il faut bien que les auteurs puissent vivre. » Sachant qu’actuellement seulement 1 500 auteurs perçoivent une rémunération de plus de 40 000€ par an, la mise en place d’une exception au droit d’auteur pour le livre numérique ne pourrait qu’accentuer leur situation de précarité. « L’accès, c’est bien, mais non au détriment des auteurs. » Telle est la nécessaire synthèse entre le soutien à l’industrie du livre et la promotion de la lecture publique.